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de l’état et recrutait sous tous les portiques des ennemis à la démocratie ; dans les circonstances où se trouvait alors Athènes, Socrate était un danger public, et le principe de la civilisation grecque déniait au citoyen tout droit contre l’intérêt de l’état. En intentant leur accusation, Anytus et Mélitus firent un acte de patriotisme, et, si une philosophie abstraite et myope les condamne comme hommes, l’histoire, qui sait le passé et le comprend, les honore comme Athéniens ; mais dans ce procès, où toute une république se défendait contre un homme[1], la responsabilité d’Aristophane est nulle : il resta dans la galerie avec la Grèce entière ; on ne peut lui reprocher que le courage d’un bon citoyen et la clairvoyance d’un esprit supérieur. Il voulut seulement réprimer par d’énergiques épigrammes des doctrines qu’éclairé par une funeste expérience un nombreux tribunal, choisi au hasard parmi le peuple[2], jugea digne, vingt-quatre ans après, de la peine de mort.


ÉDÉLESTAND DU MÉRIL.

  1. Quelques écrivains modernes ont parlé cependant de la douleur que les Athéniens auraient éprouvée de la mort de Socrate ; mais c’est là une assertion sans preuve, qui semble même bien contraire à un fait positif. « Après la condamnation de Socrate, dit le platonicien Hermodore, dont Diogène Laërce nous a conservé le témoignage dans la Vie d’Euclide, tous ses disciples furent obligés, pour échapper aux persécutions, de quitter Athènes, et se retirèrent à Mégare, auprès d’Euclide, le fondateur de la secte éristique.
  2. Maxime de Tyr, Discours XXXIX ; Athénée, l. XIII, p. 611, édit. de Schweighauser. Deux cent quatre-vingt-un héliastes se prononcèrent pour la condamnation, et deux cent vingt pour l’acquittement.