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Anglais eux-mêmes. Le Bombay-Time, le Bombay-Courier, la Gentleman’s Gazette, nous ont précédé dans cette enquête, et nous ne suivrons pas d’autres guides. On nous pardonnera de citer beaucoup ; les citations ont ici leur éloquence.

Voici d’abord en quels termes le Bombay-Time du 3 juin annonce la mort de l’amir de Khyrpour : « Le plus ancien et le plus constant ami de l’Angleterre, le plus sage et le meilleur des princes Talpour, la victime de ses vertus et de sa fidélité à notre égard, Mir-Roustam, khan de Khyrpour, vient d’être enlevé de ce monde.” Le Bombay-Courier du 5 juin rapporte ainsi le même fait : “La mort a enfin mis un terme aux douleurs et à la captivité du vénérable Roustam. Cette victime de notre ingratitude a rendu le dernier soupir à Pouna, le 27 du mois dernier. Nous eussions sans doute préféré qu’il lui eût été accordé de vivre, si sa carrière, en se prolongeant, avait dû se terminer aux lieux où il avait reçu le jour, et si nous avions pu croire à la restitution de cette cour’onne dont nous l’avions si déloyalement dépouillé ; mais notre espoir d’une tardive justice s’affaiblissait de jour en jour…” Voilà les aveux explicites, et nous sommes en présence d’un repentir qui ne se déguise pas. Il nous reste à chercher les causes de ce repentir dans le résumé que tracent les journaux anglais de la vie de Roustam.

Lors de leurs premiers rapports avec le Sind, les Anglais y trouvèrent Mir-Roustam-Khan établi comme raïs ou chef suprême des provinces situées sur le Haut-Indus. Les gouverneurs de l’Inde anglaise comprirent combien il importait de s’assurer son bon vouloir, et ils recommandèrent instamment à leurs ambassadeurs de ne rien négliger pour l’obtenir. La négociation réussit ; Mir-Roustam accepta l’alliance anglaise avec la cordialité la plus sincère ; de leur côté, les envoyés de la Grande-Bretagne, sir Henry Pottinger et sir Alexandre Burns, s’éprirent pour lui des plus vifs sentimens d’estime et d’amitié. Après que Burns l’eut quitté, l’amir persista dans ces dispositions ; il envoya son propre wizir (ministre) pour proposer un traité perpétuel d’amitié entre les amirs de Khyrpour et la compagnie à telles conditions qu’il plairait à celle-ci de leur imposer. A partir de ce moment, l’Angleterre obtin de Roustam tout ce qu’elle voulut : l’amir lui fit concession sur concession ; il lui abandonna ses droits les plus chers, non-seulement sans un murmure, mais comme s’il mettait son orgueil à rendre les liens qui l’unissaient à elle aussi multiples qu’indestructibles.

Il est rare, dit à ce propos le Bombay-Courier[1], que l’Angleterre offre ou accorde son amitié sans un motif intéressé. Nous lui fîmes bientôt des demandes auxquelles il était à peine supposable qu’il pût se prêter et qu’il eût fait bien plus sagement de refuser. Pourtant, malgré ses propres craintes trop bien fondées, malgré les soupçons et la jalousie de sa famille, le vénérable amir céda à tous nos désirs. Contrairement au premier traité que nous avions conclu avec lui, nous insistâmes pour conduire à traver le Sind l’armée qui marchait à la conquête de l’Afghanistan. On se rappelle que les amirs du Bas-Indus étaient alors tous prêts à prendre les armes pour s’opposer à une invasion de leur territoire que rien ne pouvait justifier, et que ce fut encore lui, le bon et pacifique Roustam,

  1. England seldom volunteers her friendship without a selfish motive. – Voyez le Bombay-Courier, numéro du 5 juin.