les grosses injures qu’on leur jette. Cette lutte des deux cités marchandes contre toute l’ambition nationale de l’Allemagne est l’un des épisodes les plus curieux de l’histoire du Zollverein ; aujourd’hui même elle se continue à propos de la crise danoise, et il faut voir avec quelle amertume on reproche à ces traficans sans cœur de garder la neutralité : ce sont des gens qui ne prennent d’intérêt à rien dans le monde, si ce n’est au taux de leurs écus et à la liberté de leur commerce ; ils n’ont point de patrie : Hambourg est anglais et Lubeck est russe.
En attendant, il sera toujours peu probable que Lubeck et Hambourg sacrifient les bénéfices de leurs libres échanges aux sévères nécessités du régime protecteur de l’industrie allemande, et la meilleure menace qu’on pût leur adresser, ce serait bien d’élever dans les mêmes régions la concurrence redoutable des ports du Holstein et du Schleswig, devenus les ports du Zollverein. Aussi l’Allemagne est-elle, appliquée maintenant à compter, à décrire les places où elle voudrait aller s’asseoir ; il n’y a jamais eu de géographie passionnée comme le dénombrement de ces conquêtes si essentielles qu’on les croit justes, si désirées qu’on les croit faites. On aurait sur la Baltique Fleusbourg et Kiel, deux ports, militaires et commerciaux de premier rang, Kiel ! le plus beau de toute la côte allemande ; sur la mer du nord, Glückstadt, « où la nature semble avoir créé un autre Rastatt en face du Strasbourg anglais qu’on appelle Heligoland ; » entre Gluckstadt et Kiel, la forteresse de Rendsbourg pour assurer les communications de terre ferme et relier ces débouchés nouveaux ; enfin on pourrait tout espérer contre Hambourg du voisinage d’Altona. À cheval sur les deux mers, le Zollverein narguerait ainsi tous les tarifs du Sund ; il défierait la Russie, qui aspire toujours à les tenir dans sa main, et il se passerait du roi de Hanovre, auxiliaire désormais impuissant des jalousies anglaises. L’avenir est magnifique : nous ajouterons qu’il n’est point invraisemblable ; mais, si grandiose soit-il, on ne peut en conscience accuser très durement le roi de Danemark de ne point se dévouer au plus vite pour le hâter encore. Les sympathies de la France à l’égard de ses voisins d’outre-Rhin, ne sauraient aller non plus jusqu’à former les vœux les plus pressans pour ce succès qu’ils rêvent si proche, et qui nous coûterait probablement si cher. Devons-nous d’ailleurs oublier que, lorsqu’on démembra la monarchie danoise en 1815, ce fut pour la punir de la fidélité qu’elle nous avait gardée dans nos malheurs. Serait-ce donc la dédommager des siens que de lui en souhaiter encore d’autres ? Nous avons assez expié cette indifférence avec laquelle nous avons vu partager la Pologne : qui sait si nous ne paierions pas à plus haut prix l’ingratitude avec laquelle nous laisserions mutiler le Danemark ?