Le Danemark a successivement tout reçu de l’Allemagne : le catholicisme et la réforme, le système féodal, et le servage rustique, l’organisation militaire et la culture des lettres. Il est même allé prendre la lignée de ses rois sur le sol d’où lui était arrivée la civilisation. Ceux-ci ont le plus souvent épousé des princesses allemandes, et leur cour a toujours été remplie d’Allemands. C’est seulement en 1784, lorsque Frédéric VI, encore prince royal, gouverna comme régent à côté de son père Christian VII, que la langue danoise fut employée pour les affaires d’état ; jusqu’alors elle était reléguée parmi les basses classes, et l’on vit siéger dans le conseil plus d’un ministre qui ne la parlait pas. La prépondérance allemande eut son moment glorieux avec le comte de Bernstorff, l’hôte et l’ami de Klopstock, le ministre du sage Frédéric V, qui, de concert avec ce grand roi, fonda la prospérité du Danemark ; mais elle eut ensuite son moment critique et son terme avec Struensée, qui périt victime de ses dédains pour le sentiment danois.
Comme le médecin Struensée, moins brillans et moins malheureux que lui, beaucoup d’aventuriers allemands venaient alors chercher fortune à Copenhague ; l’armée, mise sur le pied de permanence depuis le XVIIe siècles était leur refuge naturel ; ils introduisirent bientôt le système prussien le soldat danois, commandé en allemand par des officiers allemands, plia sous la discipline et sous la canne allemandes. L’esprit national blessé par la brutalité fanfaronne de ces maîtres étrangers, se vengeait à moitié dans les farces populaires de Holberg ; jusqu’au jour de la réaction, il ne se garda pur et sans mélange que sur la flotte, chez les matelots, ces rudes représentans de la vieille fortune du Danemark. La réaction se produisit enfin ; que l’on dise maintenant si elle n’était pas juste ! Elle s’est peu à peu développée sous le règne de Frédéric VI, et le roi Christian VIII, aujourd’hui régnant, a proclamé solennellement, en montant sur le trône, « qu’il était Danois de toute sa personne et de toute son ame. » Que ce mouvement ait peut-être été trop loin dans ces derniers temps, en présence d’éventualités chagrinantes ; que l’esprit danois se soit fait à son tour agressif au moment où la monarchie danoise est menacée d’un démembrement on doit peut-être l’avouer, et la prudence comme l’équité veulent assurément qu’on se méfie de pareilles exagérations ; mais la nationalité allemande des duchés est-elle vraiment assez compromise pour motiver cette croisade improvisée tout à la fois sur les bords du Neckar et de l’Oder, pour que les Allemands de l’Allemagne crient si haut à la délivrance de leurs frères persécutés du Schleswig et du Holstein ? Nous ne le croyons pas. Nous croyons, au contraire (et nous imaginons bien que, dans cette veine d’enthousiasme, on ne nous pardonnera guère notre hérésie), nous croyons que cet enthousiasme lui-même, ce teutonicus furor est la plus dangereuse passion qui puisse détourner