troubles. On répéta que c’était Turgot qui excitait les désordres par l’application imprudente de ses théories, et qu’il versait le sang humain pour assurer leur triomphe.
Est-il besoin de dire qu’il eut contre lui les gens de cour ? C’était en un tel lieu une grande nouveauté, un grand scandale que ce langage toujours grave et sincère, que ce souci dominant des besoins du peuple. Turgot dénonçait l’imminence de la crise, la nécessité de la prévenir, il passa pour un esprit remuant, pour un prophète de malheur. Il avait des vues d’ensemble, on l’accusa d’être un homme à système ; il osait retrancher à l’oppression quelques-uns de ses privilèges, on l’appela tyran et ennemi des lois. Sa timidité même dans ses relations avec les hommes était tournée contre lui. Au lieu de croire qu’il paraissait fier parce qu’il était timide, on aima mieux dire qu’il était timide par orgueil. La haine se répandit en flots d’injures, s’exprime par des caricatures, des chansons et des épigrammes. Un frère du roi, qui niait alors, mais que plus tard dut comprendre la nécessité de réformes, Monsieur depuis Louis XVIII, daigna se faire auteur pour écrire contre Turgot un pamphlet violent, mais beaucoup plus spirituel, il faut le reconnaître que les injures de d’Éprémesnil, et plus habile que les remontrances du parlement.
C’est le propre de la médiocrité frivole et vaniteuse de s’irriter contre la supériorité du mérite, surtout quand ce mérite est honnête. M. de Maurepas n’était pas seulement hostile aux réformes, il haïssait le réformateur. Il était dur, pour tous ces hommes à qui une certaine intrépidité d’ignorance avait tenu lieu de génie, de se trouver, dans le conseil du roi, en présence de cet esprit ferme et sévère, qui les accablait par la hauteur et l’abondance de ses vues, en présence de cet homme dont le calme inaltérable devait être facilement pris pour dédain par des gens qui, après tout, avaient assez d’esprit pour soupçonner un peu leur manque d’idée. Causes petites et misérables, mais proportionnées par là même à ceux dont nous parlons. Et ne sait-on pas que la vanité blessée est souvent plus terrible que l’intérêt compromis ?
On rougit de rappeler les moyens qu’employèrent les courtisans, conseillés ou soutenus par M. de Maurepas, pour perdre Turgot dans l’esprit du roi. Une correspondance blessante pour le roi, injurieuse pour la reine, fut supposée entre le ministre et un de ses amis, et remise sous les yeux de Louis XVI. M. de Maurepas, à qui le prince venait en faire confidence, défendait son collègue avec assez d’habileté pour achever de le rendre suspect.
Pour soutenir Turgot contre les attaques du clergé qui l’accusait d’être un impie, de la noblesse qui l’accusait d’être un spoliateur, du parlement qui l’accusait d’être un despote, des fermiers-généraux qui le jugeaient leur ennemi parce qu’il voulait mettre de l’ordre dans les