locaux, on l’avait supporté ; mais, quand il porta la main sur des privilèges qui intéressaient des classes entières, le déchaînement fut universel.
Il eut contre lui le clergé. Une circonstance particulière l’avait déjà indisposé. Au moment de la cérémonie du sacre, d’accord avec Malesherbes, Turgot avait demandé au roi de ne pas prononcer l’abominable formule « d’exterminer les hérétiques » Les évêques s’y opposèrent ; ils répondirent par une remontrance, et répandirent que Turgot avait résolu de tyranniser la religion catholique. Des intérêts moins sacrés éveillaient aussi les alarmes du clergé de France. Ses mesures contre la féodalité atteignaient l’église. Enfin, dans ses mémoires, s’il parlait quelquefois d’augmenter l’influence et les ressources du clergé, il ne désignait parc ce mot que les simples curés, et surtout les curés de campagne.
Il eut contre lui le parlement, ainsi qu’il l’avait prévu. M. Hue de Miromesnil prit en main la cause des hautes classes, et, au sujet des corvées, s’attendrit beaucoup sur le sort des riches. M. l’avocat-général Séguier s’étendit sur les mérites du régime prohibitif auquel la France, dit-il, devait la grandeur et l’étendue de son commerce, et il montra la ruine publique sortant de la liberté de l’industrie. Pour que le parlement insérât les édits, il fallut que le roi tînt un lit de justice. C’est ce lit de justice que les philosophes, qui aimaient à jouer sur les mots, même en exprimant des idées sérieuses, appelèrent lit de bienfaisance. Quant à Turgot, sans doute parce que les abus spoliaient le pauvre avec une espèce de régularité il fut accusé d’attenter à la propriété.
Il eut enfin contre lui et j’ai honte de le dire il eut contre lui le peuple. Ce peuple qui était l’objet de toutes ses pensées, ce peuple, comme il l’avait prédit dans sa lettre à Louis XVI, « l’attaqua, pour les mesures mêmes qu’il avait prises en sa faveur. » La nation éclairée le soutint constamment, parce qu’elle savait le comprendre ; mais le bas peuple, plus disposé à croire ses flatteurs que ses amis, surtout quand ses amis sont ministres, s’ameuta, persuadé qu’il dépendait du gouvernement de faire cesser la cherté des grains. Les ennemis de Turgot allèrent même jusqu’à répandre que le contrôleur-général avait produit la famine en permettant l’exportation du blé, dont il avait seulement autorisé la libre circulation à l’intérieur. On vit alors des bandes de brigands exciter les paysans à la révolte, incendier les granges, couler à fond les bateaux chargés de blé, arriver jusqu’à Versailles, où le roi eut la déplorable faiblesse d’accorder à leurs cris une diminution dans le prix du pain, pendant qu’à Paris le lieutenant de police, dévoué au parlement, faisait pacte avec l’émeute. Il fallut que Turgot sévît. Le lieutenant de police fut destitué. La justice prévôtale, sans prendre les ordres du ministère, fit pendre deux des principaux instigateurs des