ces détails honteux ou horribles se mêlent à l’histoire, mais ne sont pas l’histoire même pour qui sait regarder de haut. « Au milieu des ravages de la guerre ; » ne voyez-vous pas « les mœurs qui s’adoucissent, les esprits qui s’éclairent, les peuples qui se rapprochent, et la masse du genre humain s’avançant toujours, quoique à pas lents, à une perfection plus grande ? » Ainsi l’humanité est soustraite au règne du hasard, arrachée à l’empire du mal ; ainsi tombe le nuage qui voilait un Dieu. L’ame respire à l’aise ; la terrible énigme a fait place à ce mot si clair et si consolant : le progrès.
Le progrès ! croyance des temps nouveaux, doctrine vivifiante que la pensée du XVIIIe siècle a léguée, pour ne plus périr, à la race humaine ! c’est à Turgot qu’appartint l’honneur de rapporter à la France c’est la France qui eut la gloire de la donner au monde.
Le créateur de la philosophie de l’histoire, alors inconnu parmi nous, Vico, n’avait pas soupçonné le but de ces mouvemens qu’il ramène sans cesse dans le cercle inexorable de ses Ricorsi. Pascal avait comparé le genre humain à un seul homme qui apprend continuellement ; mais, dominé par l’ordre habituel de ses travaux, détourné d’une telle pensée par la sombre tristesse de son génie et de sa foi, Pascal n’était pas allé au-delà du développement des sciences mathématiques et physiques. Un autre philosophe, qui semble égaler le génie à l’étendue de la création. Leibnitz, placé à l’origine de presque toutes les grandes idées modernes, comme Homère à la source de toute l’antique poésie, avait jeté sur la marche du genre humain une de ces paroles comme il lui en échappe, si fortement colorées dans leur raison sublime ; mais ce n’était qu’un fugitif éclair et comme un prophétique aperçu. Dans cette grande et imposante récapitulation qu’il fait des peuples de la terre, Montesquieu avait borné sa vue aux seules institutions, et là même, il avait paru plus préoccupé de marquer les circonstances qui les modifient que de chercher un ordre général suivant lequel elles se développent. Faut-il enfin citer Voltaire ? Pour cette pensée généreuse, mais flottante, le progrès fut-il autre chose qu’une espérance, bien obscurcie d’ailleurs dans l’esprit d’où sortit Candide ? C’est Turgot qui convertit en certitude les pressentimens de ses devanciers, qui tira la doctrine nouvelle des entrailles de son temps, pour la façonner à l’image régulière de sa pensée, pour la rendre au monde tout éblouissante des lumières de la démonstration.
Il fut plus que le pénétrant interprète d’une idée mal éclaircie. Le premier, il lui donna toute sa grandeur, toute sa portée. Avec lui, le progrès embrasse et le temps et l’espace ; il est continu et universel. Avec lui, il cesse de se borner à quelques nations privilégiées, à une espèce d’aristocratie dans chaque nation ; il comprend le peuple aussi bien que les peuples. Avec lui, ce n’est plus telle ou telle partie de la nature humaine,