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Turgot venait d’être nommé prieur de Sorbonne, et il était chargé de prononcer les discours qui terminaient et inauguraient chaque année le cours des études. Laissant les banalités ordinaires en de telles circonstances, il attaque de prime abord les questions les plus hautes et les plus inexplorées. Il prend pour sujets les progrès successifs du genre humain et les services que le christianisme a rendus à la société civile.

Tout est entièrement moderne, tout semble appartenir au XIXe siècle, pensées, langage formules même, dans ces ouvrages de Turgot et dans les discours sur l’histoire universelle, qui n’en sont que le développement. Il n’est pas jusqu’aux problèmes qu’il soulève qui ne soient, pour son temps comme pour ses auditeurs, presque aussi nouveaux que les solutions qu’il apporte.

Contemplez cet univers au sein d’une mobilité sans mesure, quelle imposante immobilité ! quelle unité dans les lois qui le gouvernent ! Mais quelle est cette créature qui s’agite comme incapable de trouver sa vraie place ? Poussée par je ne sais quel instinct, elle promène en tous lieux sa vague inquiétude et ses errantes aventures. Ignorant le but du voyage, elle va où ses désirs l’emportent, elle va où l’entraînent ses idées changeantes. Pourtant il semblerait qu’elle veut goûter le repos ; elle le demande à ses lois, à ses religions, à ses constitutions politiques : impuissans projets ! Voici qu’elle-même se hâte de briser, voici qu’un coup du sort emporte ces institutions dont elle avait rêvé l’éternité, tentes légères qui l’abritèrent un jour à peine. Où va donc ce voyageur ? Seul être intelligent, serait-il le seul qui ne fut soumis à aucune règle ? Seul être libre, aurait-il été jeté comme un jouet entre les mains du hasard ? Ces vicissitudes de sa course, ces révolutions que la destinée semble jeter sous ses pas pour confondre sa prévoyance, ces empires qui tour à tour, à leur heure, sans plus de raison, s’élèvent, puis déclinent, puis tombent, homme, est-ce donc là ton histoire ?

Écoutez comment cet esprit de vingt-trois ans qui, le premier en France, pose de telles questions, les discute et les résout.

La main de Dieu jette l’humanité sur la terre ; la voici nue et désarmée : qui la sauvera des étreintes d’une nature ennemie ? Quelle est la force de cette créature fragile ? La pensée. C’est par là que triomphera l’être disgracié qui doit s’appeler un jour le roi de la création.

Cette pensée n’a pas été abandonnée aux chances du hasard. Mue par des passions toujours les mêmes, gouvernée par les mêmes principes essentiels, soumise au spectacle du même univers, c’est elle qui constitue l’unité de l’histoire, sa vivante image : « causes générales, influences particulières, actions libres, » tels sont les principes qui, rapportés à l’esprit humain comme à leur source, composent, en se combinant, la vie de l’humanité. Mais le but aussi a son unité. Caprices désastreux des princes et des peuples, jeux sanglans de l’avarice et de l’ambition,