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personnification des sophistes, que l’imagination devait s’estimer heureuse de trouver dans les rues d’Athènes. Non-seulement il prêchait en plein air toutes les idées dangereuses à l’état, mais il avait rendu la satire plus facile en allant complaisamment au-devant du ridicule. Aussi Amipsias, Eupolis, les railleurs les plus considérables du temps, avaient-ils déjà livré son nom à la moquerie publique ; avant la représentation des Nuées, il existait comme un caractère de comédie, une sorte de docteur-philosophe. Dans le respect un peu superstitieux qu’il est du bon ton philosophique de professer pour la mémoire de Socrate, on a voulu penser que le protagoniste de la pièce d’Aristophane n’est pas vraiment le fils du sculpteur Sophronisque, mais une création bouffonne, baptisée du nom de Socrate par pure fantaisie, où rien ne se retrouve ni de son caractère véritable, ni de sa philosophie. Selon le scholiaste d’Aristophane, le stoïcien Panetius l’avait déjà très obligeamment supposé, et, de nos jours encore, quelques érudits, sans doute plus amis de Socrate que de la vérité, ont donné à cette découverte toute l’autorité de leur parole et de leurs désirs. Ils ont remarqué, que Xénophon, l’adversaire acharné des ennemis de Socrate, n’a nulle part attaqué Aristophane, et, au lieu d’en conclure qu’au moment du procès des plaisanteries vieilles de vingt-quatre ans étaient oubliées depuis long-temps, ils les ont niées. Le héros n’a pas cependant le moindre voile, il s’appelle en toutes lettres Socrate ; mille traits disséminés dans toute la pièce le désignent d’une manière aussi précise, et les autres comédies d’Aristophane peuvent convaincre les plus incrédules que la personne de Socrate ne lui était nullement sacrée. D’ailleurs, le maître l’a dit : afin d’affaiblir les accusations d’Anytus, Platon leur donne pour cause première les plaisanteries des Nuées, et selon une vieille tradition, un peu suspecte peut-être, quoique fort répandue, Socrate aurait assisté stoïquement à la première représentation, et serait resté debout jusqu’à la fin pour, montrer aux spectateurs l’original en regard du portrait.

Dans la foule de moqueries qui s’adressent évidemment à sa personne, il s’en trouve cependant jusqu’à trois qui lui semblent d’abord étrangères ; mais lors même qu’il serait véritablement impossible de les expliquer par aucun fait réel, ni par aucun bruit populaire, il serait téméraire d’en rien inférer : si nous possédons les apologies de ses disciples, les mémoires de ses adversaires sont perdus, et, après tout, la comédie n’est pas un tableau d’histoire, où le ridicule doive rester aussi matériellement vrai que l’art de vérifier les dates. Peut-être, d’ailleurs, malgré le système de palliatifs si naturels aux bons avocats, ces trois allusions à la vie réelle de Socrate ne sont-elles pas aussi incroyables qu’on le suppose. A la vérité, Platon et Xénophon l’affirment, il ne consacrait pas ses investigations à la philosophie naturelle ; mais leur témoignage ne s’applique certainement, qu’aux derniers temps de sa vie,