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cette besogne, et dire qu’une question de cette valeur est soumise à l’appréciation d’hommes aussi éminens que MM. Biot et Letronne, c’est dire qu’elle sera plus tard résolue d’une manière positive et précise.

Champollion, tout en profitant avec une admirable sagacité des ressources que lui présentaient tous les musées égyptiens de l’Europe, sentait à merveille que la science qu’il avait créée devait recevoir une imposante sanction d’une exploration consciencieuse faite par lui-même sur les bords du Nil. Il sollicita donc et obtint l’honneur de diriger sur cette terre illustre une expédition scientifique, dont la munificence du gouvernement français devait faire tous les frais. Les disciples du maître furent associés à ses travaux, et tous partirent avec ardeur pour cette aventureuse campagne qui devait jeter tant de lumière sur les temps pharaoniques. Je n’insisterai pas sur les résultats de cette exploration. Chacun a vu les immenses matériaux conquis au prix de tant de labeurs et de fatigues, et c’est un admirable monument aussi que le livre qui fut le fruit des veilles de tant d’hommes de cœur et de patience. La première commission d’Égypte avait immensément fait pour la science hiéroglyphique. La commission présidée par Champollion vint, non pas compléter, mais augmenter d’une manière inestimable ce trésor de documens historiques. Que l’on n’aille pas croire cependant que l’Égypte nous a maintenant restitué tout ce qu’elle recélait dans son inépuisable sein ; je ne crains pas de le dire : pendant des siècles encore, on pourra interroger ce sol si prodigieusement fécond, et toujours on y rencontrera des faits nouveaux et dignes de tout l’intérêt des érudits.

Pendant qu’il étudiait avec un soin minutieux les monumens égyptiens de tous les siècles, Champollion profitait des loisirs forcés que présente nécessairement un voyage aussi long et aussi pénible, pour mettre en ordre les idées qu’il avait déjà conçues ou qui se développaient à chaque instant, à l’aspect des monumens, sur la grammaire de cette langue si curieuse. Pour lui, il n’y avait pas d’heures de repos. Imprudent qui ne comprenait pas qu’à ce labeur incessant il usait rapidement sa vie ! À son retour en France, Champollion se mit courageusement à l’œuvre ; il s’agissait pour lui d’élever un monument impérissable, c’est-à-dire de publier cette grammaire égyptienne, dans laquelle il sut encadrer avec un bonheur inoui tous les faits grammaticaux qu’il lui avait été donné de reconnaître. Que les plus incrédules lisent ce chef-d’œuvre de logique et de science, et, s’ils continuent à douter encore, on ne pourra que dire : Ils ont des yeux pour ne point voir.

Je l’ai fait pressentir, Champollion avait usé sa vie dans la rude carrière qu’il voulait parcourir. Pendant quelques mois, il lutta contre le mal qui le minait, et il s’éteignit enfin sous les étreintes de ce mal, mais fier de la noble tâche qu’il avait si dignement accomplie, fier surtout de l’affection de ses disciples et de la foi ferme qu’il leur avait mise au