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chacun espérait, chacun s’employait avec ardeur à recueillir les matériaux à mettre en œuvre, lorsqu’une découverte tout-à-fait inattendue vint convertir l’espoir que l’on avait conçu en une certitude un peu prématurée il est vrai.

Dans le courant du mois d’août 1799, M. Bouchard, officier du génie attaché à la place de Rosette, y faisait exécuter des fouilles dans un ancien fort. Un bloc de granit noir, dont la surface présentait une triple inscription, fut mis au jour. L’inscription supérieure était conçue en hiéroglyphes, l’intermédiaire présentait des caractères cursifs tout-à-fait distincts des hiéroglyphes, et l’inscription inférieure offrait le texte d’un décret grec rendu par le corps sacerdotal réuni à Memphis, en l’honneur du roi Ptolémée Éphiphane. Ce décret apprenait, de la manière la plus positive et la plus explicite, que les deux textes égyptiens n’étaient autre chose que la reproduction fidèle du même décret traduit en langage sacré ou hiéroglyphique, et en langage vulgaire ou enchorial.

On comprend tout ce que l’appréciation d’un pareil monument avait d’importance, puisque l’on se trouvait en possession de deux textes égyptiens dont la teneur était fixée à l’avance. Dès-lors il semblait tout naturel d’admettre que le déchiffrement rigoureux des deux textes égyptiens serait la conséquence immédiate de cette première découverte, et pourtant il n’en fut rien. Le texte hiéroglyphique, étant tronqué, ne pouvait présenter que des ressources fort restreintes ; le texte démotique, au contraire, que l’on possédait presque en entier, devait céder plus facilement aux recherches des déchiffreurs qui se mirent à l’œuvre. Notre illustre Sylvestre de Sacy fut le premier. Ayant reçu en 1802 un fac-simile de la pierre de Rosette, il en étudia le texte démotique, et il parvint à déterminer les groupes de signes qui représentaient les noms de Ptolémée, Arsinoë, Alexandre et Alexandrie. Ces premiers résultats furent consignés par le savant orientaliste dans une lettre adressée à M. le comte Chaptal. Ils n’étaient malheureusement positifs qu’en ce qui concernait la délimitation de ces groupes-noms-propres, car la décomposition qu’il en proposa était tout-à-fait erronée. Cette lettre de Sylvestre de Sacy ayant donné l’éveil aux philologues, un orientaliste suédois, Ackerblad, reprit le même problème, et en très peu de temps il parvint à démontrer que Sylvestre de Sacy s’était trompé en attribuant aux signes démotiques des valeurs qui devaient les rapprocher de ceux des écritures sémitiques. Ackerblad détermina sans erreur toutes les lettres qui entraient dans les noms propres en question, et il fit plus encore, car il parvint à reconnaître tous les noms des autres personnages cités dans le décret grec, et à construire un premier alphabet démotique qu’il tenta d’appliquer à la partie logique du décret lui-même. Dès l’abord, il reconnut un mot copte et un mot grec transcrits en toutes lettres à l’aide