Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de M. Auerbach, c’est qu’il ne sort pas de son village : l’horizon de Nordstetten lui suffit. Tous les habitans de la commune sont étudiés tour à tour et deviennent comme une famille dont on écoute avidement l’histoire. Le soldat, le curé, le séminariste, le maire, le tolpatsch, reparaissent continuellement dans des tableaux variés. Qu’un étranger arrive, l’habile conteur saura bientôt ses aventures, et, si les gens de Nordstetten l’accueillent mal, il leur prêchera l’hospitalité. Cela devra se rencontrer plus d’une fois. Le pauvre employé, le fonctionnaire subalterne aura souvent à souffrir de l’esprit railleur de Nordstetten ; mais patience ! M. Auerbach le vengera bien amicalement. Un de ses plus chers protégés, c’est le maître d’école. Pauvre maître d’école ! il n’est pas du pays ; il est né à Lauterbach, et c’est de là qu’il vient, pour prendre possession de son petit emploi. Comme il est joyeux, confiant ! Hélas ! il aura affaire dès le premier jour à la moquerie et à la malveillance. Voyez-le, c’est un dimanche, au coucher du soleil ; les cloches sonnent l’angelus, et des groupes de promeneurs vont et viennent sur la grande route. Le maître d’école salue de loin sa nouvelle résidence, et, à l’aspect heureux de cette contrée, il se sent pénétré de joie. Cet air de fête, ce chant des cloches, tout le ravit ; il lui semble en vérité que le village savait l’heure de son arrivée, et que le clocher carillonne gaiement pour célébrer sa bienvenue. Attendons à demain : quel contraste subit entre ce candide enthousiasme et l’accueil maussade qu’on lui prépare ! Ces bonnes gens de Nordstetten ont de graves défauts, et ce n’est pas du tout une fade églogue que M. Auerbach a voulu écrire. Le maître d’école est étranger à Nordstetten, c’est-à-dire qu’il tombe en pays ennemi. Ajoutez à cela que le pauvre jeune homme est né à Lauterbach, et qu’il y a une sotte chanson populaire sur les gens de Lauterbach ; mieux vaudrait arriver de Pontoise. Cette chanson moqueuse va lui être chantée sur tous les tons. Et lui qui rêvait si doucement aux sons de la cloche hospitalière ! Il tâchera pourtant de conjurer cette opposition vraiment formidable ; il fera ses visites au maître d’école en retraite, aux vieux paysans les plus rusés ; il soutiendra de bonne grace les méchans propos et les grossières moqueries. Son journal, auquel il confie chaque soir ses plus secrètes impressions, nous révélera de bien précieux trésors chez ce candide et dévoué jeune homme : il y répandra toute son ame dans des confidences sans apprêt. Et puis, le dimanche, n’est-ce pas lui qui joue de l’orgue à l’église ? La musique est un refuge adoré pour ce cœur simple et involontairement mystique. Tout ce tableau est d’une élégance achevée, d’une délicatesse adorable. La douce résignation, la douleur gracieuse du jeune homme, ont été pour les agréables peintures de M. Auerbach des occasions charmantes dont il a bien profité. Un soir, un groupe de jeunes paysans entonne, sous les fenêtres du maître d’école, la fameuse chanson des gens de Lauterbach ; le maître