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sera bientôt au séminaire. Avant d’y aller cependant, il faut qu’il grandisse encore. L’éducation du petit Ivon est une des parties les plus gracieuses du récit. Quel est son précepteur ? Ce n’est pas le maître d’école, esprit sec et borné, qui n’a aucune action sur cette ame tendre ; non, c’est le valet de l’étable, le gardeur de vaches, le bon et ignorant Nazi. Sans y songer, le bon Nazi communique à Ivon toute une science naïve et saine, l’instinct de la nature, et une touchante amitié pour les bœufs et les chèvres de la maison. Si une vache, achetée la veille, mal habituée à sa nouvelle demeure, pousse durant la nuit de longs beuglemens plaintifs, soyez sûr qu’Ivon l’entendra, et, tout inquiet, réveillera son père. Ivon ne quittait plus Nazi ; il l’accompagnait aux champs, et Nazi lui apprenait les vieilles chansons du pays ou répondait à ses questions continuelles. Ces deux êtres si simples avaient souvent des illuminations merveilleuses. Un soir, ils revenaient de la vallée et gravissaient le sentier de la montagne ; Nazi avait placé Ivon sur le cheval, ensuivait à pied. Il regardait le soleil qui allait disparaître entre deux sommets couronnés de noirs sapins. Tout à coup la terre et le ciel lui semblèrent une grande nef de cathédrale, toute de lumière et d’or. Les petits nuages se balançaient comme des têtes de séraphins ; au milieu s’étendait une large nuée, magnifiquement immobile, qui formait comme un autel ; ses degrés étaient bleus, et sur la table brûlait une flamme éblouissante. Nazi croyait à tout instant que la nuée allait s’ouvrir et que Dieu apparaîtrait dans sa gloire. Il s’était arrêté, et Ivon galopait toujours à cheval sur le chemin escarpé ; le cheval semblait avoir des ailes, et on eût dit qu’un ange emmenait Ivon dans le dôme enflammé du couchant. Deux oiseaux volaient au-dessus de sa tête, si haut, si loin ! « Nazi demeurait là en extase. L’incompréhensible splendeur de la Divinité avait laissé tomber un de ses rayons dans l’ame du paysan, et, pendant une minute suprême, il fut élevé plus haut que tous les grands de ce monde sur les trônes de la force et de l’intelligence ; la majesté divine s’était inclinée vers lui. Jour fortuné ! Ivon et Nazi ne l’oublièrent jamais. » On comprend qu’une telle éducation, une telle ouverture de cœur, un commerce si abondant et si franc avec la nature bien-aimée, devaient le préparer assez mal à la réclusion, aux austérités de la vie ecclésiastique. C’est là, en effet, le véritable but de l’auteur. Il éveille une à une dans l’ame de son jeune héros toutes les pures émotions ; joignez-y les amours enfantines, l’innocente tendresse d’Ivon pour la fille du voisin ; ce sont mille joies familières qui s’épanouissent richement dans cette ame que rien ne comprime ; la jeune sève court et se déploie en des fleurs sans nombre. Mais que deviendra Ivon sous la discipline du séminaire ? C’est une longue histoire que je ne veux pas conter ici. On devine aisément que de détails charmans et profonds s’offriront à l’habile plume du conteur. L’analyse est vive et délicate,