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s’accroisse et se propage, que le niveau général s’élève, on n’en saurait douter. Le travail politique de l’Allemagne est, par exemple, un spectacle vivant, plein d’un intérêt sérieux et vraiment digne de nos sympathies. L’histoire, le droit, les sciences morales, sont cultivées avec ferveur ; un certain talent secondaire abonde en maintes directions ; il y a comme un courant actif, agile, qui circule de mille côtés, et dont l’étude est remplie d’instruction et d’attrait. Cela suffit-il pourtant ? Où sont dans cette foule lettrée qui grossit chaque jour, où sont les natures originales, les physionomies distinctes ? où est le don heureux, privilégié, la faculté immortelle, l’invention qui ravit les ames ?

Retrouver dans la littérature européenne les inspirations diverses, la poésie de chaque pays, les variétés fécondes, c’est là, en ce moment, une étude qui n’a plus d’objet. On pourrait presque dire que les littératures étrangères n’existent plus. Voyez si au nord et au midi les générations contemporaines ne sont pas marquées du même signe. Passez le Rhin ou la Manche, traversez les Alpes ou les Pyrénées, vous retrouvez au-delà des frontières ce que vous vouliez éviter chez nous. Il y a comme une triste uniformité qui enveloppe le monde. L’Allemagne particulièrement nous ressemble un peu plus qu’il ne conviendrait. Les vices littéraires, la fatigue, le désordre, la stérilité prétentieuse, toutes les misères que nous dénonçons ici sont installées dans le pays de Goethe et de Schiller. L’imagination est désormais, là aussi, une chose vénale, tourmentée par l’industrie et, à mesure que la culture intellectuelle devient le partage d’un plus grand nombre, l’art disparaît. On sait ce qu’est aujourd’hui le roman dans nos manufactures, le roman, si noble encore il y a dix années à peine, si éloquent et si riche. L’Allemagne, qui depuis Goethe et Jean-Paul n’avait pas eu la même bonne fortune, nous a emprunté bien vite nos erreurs présentes. N’y a-t-il pas dans le pays de Mignon, comme dans celui de Valentine et de Mauprat, des milliers de plumes occupées nuit et jour à fabriquer d’indigestes produits ? Je remarque de singuliers rapprochemens : toutes ces compositions si nombreuses pourraient se diviser en deux classes ; il y aurait, d’une part, les romans socialistes, les histoires à grand fracas, à grandes prétentions métaphysiques et politiques, de l’autre les conteurs les plus indifférens, les faiseurs éternels, qui voudraient bien cacher leur bourgeoise industrie sous je ne sais quelles prétentions de grand monde et d’aristocratie suspecte. Ici les disciples attardés de la jeune Allemagne, les héritiers de M. Mundt et de M. Willkomm ; là les gentilshommes à l’imagination douteuse et au style éventé, prétentieuse et maussade compagnie, gouvernée, jusqu’à la saison prochaine, par la comtesse Hahn-Hahn et le baron de Sternberg.

Les préoccupations politiques de l’Allemagne sont peu favorables au culte de l’art. Tout ce mouvement si sérieux, si légitime, mérite nos