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son infanterie indienne armée d’arcs et de flèches, ce navire bordelais, objet de la convoitise des insurgés, qui recélait dans ses flancs la riche cargaison dont ils avaient espéré un secours décisif, entrait majestueusement dans le port, au moment aussi où le dernier des prononcés, Ochoa, venait de quitter Guaymas.

Dans mes pérégrinations ultérieures à travers l’état de Sonora, j’eus l’occasion de retrouver les principaux membres du gouvernement provisoire de Guaymas humblement cachés dans d’obscures bourgades, hormis un seul, le capitaine Ochoa, dont la destinée m’inspirait plus de sympathie ; ses amis mêmes n’avaient plus entendu parler de lui. — Le général Tobar fut plus heureux ; il était assez haut placé pour être un de ces hommes que les orages politiques n’atteignent que rarement au Mexique. Son commandement, quelque temps inoccupé, lui fut rendu, et son pronunciamiento se confondit avec tant d’autres au milieu des secousses qui ébranlent et ébranleront long-temps encore le Mexique. — U’Sacame, imposé pour chef aux Hiaquis, qui implorèrent la paix, brûla de sa main la cabane de Banderas proscrit, et, après la dissolution du gouvernement provisoire, Zampa Tortas, le commis de la douane, revint s’asseoir à son bureau avec autant de modestie que s’il n’avait pas été tout simplement un héros au milieu de la mêlée sanglante que j’ai essayé de décrire. — Quant à Casillas, sa pâle et mélancolique figure, sa fin tragique, apparaissent souvent dans mes souvenirs ; un mystérieux intérêt s’attache encore dans mon esprit au secret motif de la trahison qu’il avait méditée, et qui lui coûta la vie. Le sacristain n’eut garde d’oublier ce malheureux jeune homme. Colportant les oreilles de son ami, il alla quêter de maison en maison, afin de faire dire des messes pour le repos de son ame. Les personnes pieuses, à la vue de ce qui restait de Casillas, s’émurent de pitié, la collecte fut abondante ; mais le sacristain lui donna-t-il la religieuse destination qu’il annonçait ? Il est permis d’en douter. Il est des hommes dont le sort doit s’accomplir jusqu’à la fin ; Casillas mort devait être exploité par le sacristain comme Casillas vivant, et peut-être le sacristain a-t-il réalisé le proverbe espagnol :

Los dineros del sacristan
Cantando vienen y cantando se van[1]


G. FERRY.

  1. L’argent du sacristain vient en chantant et s’en va en chantant.