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ses efforts, il y eut un instant où l’on n’aperçut plus qu’un monceau de corps parmi lesquels surgissaient à peine la tête d’un homme et celle d’un cheval ; c’en était fait du chef indien, lorsque la barrière s’ouvrit enfin. Ses deux cents guerriers s’élancèrent ; les blancs, ranimés par cet exemple, les suivirent, et U’Sacame, le corps sanglant, les narines gonflées, la poitrine haletante, domina de nouveau la foule de ses ennemis épouvantés. Alors une horrible déroute commença ; les Hiaquis tombèrent comme l’herbe qu’on fauche ; Banderas tourna bride, et ses Indiens l’imitèrent, laissant cette fois la terre jonchée de leurs morts. A l’heure où le soleil était sur son déclin, tout était fini. Le siège du Rancho avait duré quinze heures.

Ce soir-là même, un homme arriva au galop de Guaymas au Rancho ; c’était le sacristain. Il chercha long-temps le cadavre de son ami.Casillas ; puis, l’apercevant, il se précipita sur lui et le tint longuement embrassé. — Oh ! mon ami, s’écria-t-il, je ne pourrai donc plus te protéger, comme je me complaisais naguère encore à le faire ! — Il le considéra ensuite avec attention, comme s’il eût médité sur le parti qu’il pourrait encore tirer de ce corps inanimé. Tout à coup une idée lumineuse éclaira son esprit. Il tira de sa poche un couteau, et, avec un soin tout particulier, il détacha de la tête les deux oreilles de son ami, et les enveloppa dans son mouchoir.

— O Casillas, s’écria-t-il en serrant le précieux débris, peut-être es-tu mort en péché mortel ! Je veux te donner une preuve de plus du tendre intérêt que je te portais pendant ta vie. Tu te réjouiras, même après ta mort, d’avoir trouvé un ami tel que moi !

Puis il remonta à cheval et s’éloigna.

Après les événemens que je viens de raconter, quelques jours se passèrent encore, pendant lesquels l’argent trouvé dans les coffres de la douane fut dissipé au point qu’il n’en resta d’autre trace que le reçu d’Ochoa. Il fallut recourir aux exactions, car les nouvelles arrivaient de plus en plus menaçantes d’Arispe. Le général Tobar, toujours retiré dans sa propriété, n’était pas fâché de laisser à Ochoa la responsabilité de ces mesures de rigueur. Plusieurs riches habitans de Guaymas se laissèrent d’abord rançonner d’assez bonne grace ; mais tout a un terme, et le gouvernement provisoire était à bout de ressources.

Un jour, un gros navire bordelais, probablement chargé de riches marchandises, fut signalé comme cherchant à gagner les passes de l’entrée du port. Ce fut pour les prononcés une heureuse nouvelle, car ils devaient percevoir les droits de ces marchandises. Comme l’arrivée d’un chargement de marchandises européennes ne pouvait être sans influence sur les intérêts que je représentais à Guaymas, je me dirigeai le jour suivant, de bon matin, sur la hauteur dont j’ai parlé, et qui domine la ville à une distance assez rapprochée pour laisser voir tout ce qui, s’y