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temps de ramasser leurs blessés, seulement les morts avaient été mis à l’écart et déposés sur le seuil des maisons.

Les flèches et les balles traversaient incessamment l’espace laissé vide par les assaillans entre eux et les barricades. C’était déjà un premier succès pour les blancs. Au premier rang des ennemis, à demi-portée de fusil environ, insolemment assis par terre comme un bûcheron qui se repose, Camoté tenait son arme sur ses genoux.

— Les balles des blancs, dit-il en faisant allusion à la maladresse des Mexicains dans le maniement des armes à feu, ne sont fatales qu’à leurs amis ; c’est un ami que va frapper le coup destiné à un ennemi. La hache de Camoté est plus sûre ; elle ne fait pas long feu, quoiqu’elle soit teinte du sang des blancs.

Une grêle de balles répondit à cette audacieuse raillerie. Camoté secoua la tête.

— Que les yoris comptent leurs combattans, ces balles doivent en avoir tué quelques-uns, dit-il en faisant un geste de mépris.

— Quand les Hiaquis auront pris Guaymas, et que les blancs cultiveront pour eux le maïs et les melons d’eau, Banderas nous a donné l’ordre de lui amener trois de leurs plus belles femmes, dit un autre Indien, qui en effet nomma celles qui jouissaient dans Guaymas de la plus grande réputation de beauté.

Un cri d’étonnement partit du côté des Mexicains à ces trois noms parfaitement articulés.

Un autre Indien vint s’asseoir à côté de Camoté. Il s’accroupit à la manière des tailleurs ; puis, se renversant sur le dos, et tendant avec les pieds un arc que la force d’un bras ordinaire n’aurait pu ployer

— Le zapatero (cordonnier) va prendre la mesure des blancs, s’écria-t-il.

Une flèche partit, lancée avec une vigueur incroyable, et traversa le chapeau d’Ochoa en lui labourant le crâne.

— En voici une autre, c’est une mesure de quinze points, reprit l’Indien, et il décocha encore une flèche qui vint percer de part en part un des hommes de U’Sacame.

Puis la voix de Camoté domina tout le tumulte.

— Les blancs, tous des enfans ! cria-t-il en reprenant avec acharnement sa plaisanterie sur les armes à feu des Mexicains ; leurs fusils sont des roseaux creux, leurs balles des garbanzos, leurs canons des écorces de troncs d’arbres !

Puis s’animant, s’enivrant de ses propres paroles, Camoté agita les longues nattes de ses cheveux ; d’un bond aussi il se dressa sur ses pieds, accourut suivi d’une centaine des siens, et, au milieu des cris de rage de ses ennemis, il saisit à deux mains la bouche du canon qu’il se mit à secouer comme un arbuste.