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tectosages manque d’exactitude. Viennent ensuite de savantes recherches sur le rôle de Carcassonne comme ville d’entrepôt, cité romaine ou forteresse ; l’auteur est parvenu à interpréter et à concilier les textes de César, de Pline, de Ptolémée et des itinéraires, regardés jusqu’ici comme inconciliables. Si l’on suit le cours chronologique des événemens qui se succèdent dans l’antique Carcaso, on y voit les Visigoths remplacer les Romains, et cent ans après les remparts de cette ville arrêter les conquêtes de Clovis, qui avait promis à ses soldats de donner les Pyrénées pour frontières au royaume des Francs. Au moment où la domination des Visigoths cesse complètement à Toulouse, elle se fortifie sur les bords de l’Aude, où on la retrouve deux siècles plus tard.

En 712, une armée sarrasine, à la tête de laquelle marchait un vieillard qui avait reçu de Mahomet lui-même la mission de conquérir l’Europe, traverse les Pyrénées et s’établit à Narbonne et à Carcassonne. C’est de ces deux villes que les Arabes dirigent toutes leurs incursions sur la France ; mais dans leur enceinte le Loran règne paisiblement à côté de l’Évangile. Le contact des civilisations musulmane et chrétienne a fourni à l’auteur des pages savantes et fécondes en aperçus nouveaux. Le sujet a quelque chose d’excentrique, historiquement parlant : trois siècles de domination visigothe et un demi-siècle de domination arabe, c’est ce qu’aucune autre partie de la France ne pouvait offrir. On dirait une colonie ibérienne transplantée dans le midi de la Gaule. L’auteur s’est servi avec bonheur de certaines expressions arabes avec lesquelles notre récente conquête d’Afrique nous a familiarisés, et l’origine des guérillas espagnoles qu’il rapporte aux razzias musulmanes nous semble exacte et neuve.

Mais Clovis avait reculé les frontières du royaume des Francs sans pouvoir arriver aux Pyrénées, et Charles Martel avait battu les Sarrasins sans pouvoir les refouler au-delà de ces montagnes. Ce que ni le roi des Francs ni le maire du palais n’avaient pu faire, Pépin va l’accomplir. Dans ce but, il promet aux habitans des bords de l’Aude la conservation de leurs anciennes coutumes locales, et à ce prix il obtient la réalisation de ses vœux.

M. Cros-Mayrevieille retrace ici avec une précision et une netteté remarquables comment Charlemagne et ses leudes anéantissent le traité de Pépin, et comment la féodalité s’introduit à Carcassonne. La perte du régime municipal antique, l’influence du séjour des Arabes sur le droit romain, les institutions locales sous la domination des divers peuples qui ont occupé cette ville, ont fourni des pages qui témoignent des fortes et consciencieuses études de l’auteur. Dès qu’il a pu circonscrire son sujet, dès qu’il a pu lui donner une individualité historique, chacune des parties du livre devient d’un intérêt saisissant et réel. On assiste alors à la formation de la principauté féodale des comtes de Carcassonne. Une nouvelle civilisation remplace les anciennes mœurs ; les monastères, entre autres celui de Sainte-Marie-la-Grasse, deviennent des centres d’industrie et de commerce. Les cités et les vigueries voisines trouvent dans ces établissemens des élémens de progrès et de richesse. La cour des proceres siège autour du comte et l’assiste dans toutes ses entreprises. Alors une monnaie particulière est frappée au coin du souverain qui règne à Carcassonne ; des monumens civils et religieux s’élèvent, et la puissance féodale est à son apogée.

Mais l’un des comtes laisse de nombreux héritiers qui se disputent sa succession :