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les relations long-temps interrompues avec les nations voisines ne furent plus renouées ; bien plus, on voulut en prévenir le retour. La Chine éleva entre elle et le reste du monde un système de prohibition à l’abri duquel elle vécut isolée, consumant, sans les renouveler, les forces vitales qu’elle renfermait dans son sein, et poussant jusqu’aux dernières conséquences le principe de conservation Peu à peu la sève s’est ralentie ; le sang de ce grand corps s’est abâtardi, malgré le croisement de la race tartare, plus agreste, plus énergique, qui vint un instant raviver ses veines appauvries. Comme les plantes élevées artificiellement loin du contact de l’air et de la lumière, la Chine s’est étiolée pendant dix siècles ; elle n’a su que raffiner et subtiliser cette pâle et sédentaire civilisation qui se traduit dans les arts et la littérature par une forme maniérée et un goût mesquin, dans les arts mécaniques par le rapetissement et la minutieuse perfection des détails, dans la vie sociale par une corruption élégante et une politesse affadie. C’est le dernier degré du marasme et de la consomption. Il était temps que l’Occident intervînt.

On s’est préoccupé dernièrement de la possibilité d’une rupture entre la Chine et la Grande-Bretagne. Nul doute qu’une guerre nouvelle ne vînt irriter notre susceptibilité nationale, et pourtant, nous n’hésitons pas à le dire, la campagne de 1840 est pour l’Angleterre un titre à la reconnaissance de l’Europe. Les motifs qui l’ont amenée ne sont rien moins que généreux, dira-t-on. Qu’importe ! L’œuvre doit être jugée dans les résultats. Que la question ait été, dans le principe, une question de tarifs et de contrebande, que les portes de la Chine aient été enfoncées à coups de canon pour livrer passage à des caisses d’opium, personne ne le nie ; mais ces portes n’en resteront pas moins ouvertes désormais. Les idées suivront les ballots, et chaque tentative faite pour élargir la brèche, trop peu praticable encore, mérite l’approbation et les applaudissemens des peuples civilisés.


LES SEANCES DE HAÏDARI, ouvrage traduit de l’Hindoustani par M. l’abbé Bertrand, de la Société asiatique de Paris, suivi de l’élégie de Miskin, traduite par M. Garcin de Tassy[1]. — Ce livre est, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’office de la semaine sainte des musulmans schiites ; c’est un recueil de récits historiques et élégiaques sur la mort des principaux martyrs de l’islamisme, destinés à être lus en chaire dans les festins de deuil, chaque soir des dix premiers jours du mois de Muharrem. La solennité funèbre du Muharrem a été instituée dans l’Inde par les disciples d’Ali en mémoire de la mort de l’imâm Huçaïn et de ses compagnons massacrés dans le désert de Karbala. Hacan et Huçaïn, fils du kalife Ali et de Fatima, essayèrent vainement de venger leur père assassiné, et de recueillir son héritage. Après le meurtre de Kufa, Haçan, d’abord proclamé dans l’Irak et dans l’Arabie, se vit forcé de renoncer au trône en faveur de son rival Muawia qui ne tarda pas à se débarrasser de lui en le faisant empoisonner par une de ses femmes à Médine, où il s’était retiré. Huçaïn vivait alors à la Mecque avec le titre d’imâm. Muawia mort, les habitans de Kufa, toujours attachés à la famille d’Ali, refusèrent de reconnaître Yazid, son successeur, et invitèrent

  1. 1 vol. chez Benj. Duprat, 7, rue du Cloître-Saint-Benoît.