Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un état civil, sur les registres duquel toutes les naissances devaient être inscrites. Chaque ville avait une école publique gratuite où l’enseignement était donné aux frais de l’état par des hommes de plume, et, plus avancé que nous, tout ce monde pauvre et riche, petit et grand, savait au moins écrire et dessiner : Les fonctions judiciaires étaient distinctes de l’administration et les formes de justice au moins aussi compliquées que les nôtres. La forme est, on le sait, l’indice d’un état social très avancé. Un corps de légistes avait seul le droit de rédiger, les requêtes et de les présenter au tribunal ce sont nos constitutions d’avoué. Les procureurs devaient écrire leurs nom et prénoms, les noms et prénoms du demandeur, etc., sur le papier de la requête. Malheur à eux, par exemple, s’il se glissait quelque irrégularité dans l’acte ! Ils en étaient responsables, et on les fouettait impitoyablement. Entre le code des Chinois et le nôtre ; il n’y a, on le voit, que la différence des verges. Outre l’impôt par tête, la Chine avait aussi ses contributions indirectes. Des droits étaient établis sur le sel, le thé, etc. Quant aux mesures de police, on les croirait calquées sur les nôtres. « Celui qui voyage, dit Ibn-Vahab, doit se faire délivrer un billet sur lequel le gouverneur inscrit le nom, l’âge, la profession du voyageur, le nom et l’âge des personnes qui l’accompagnent. Sur toute la route, des agens sont chargés de se faire présenter le billet et y apposent leur visa ainsi conçu : A passé ici un tel, fils d’un tel, telle profession, tel jour, tel mois, telle année, » etc. Poursuivons et cherchons des rapprochemens encore plus étroits. « Il y a des femmes qui ne veulent pas s’astreindre à une vie régulière et qui désirent se livrer au libertinage. Ces femmes doivent se présenter au chef de la police et faire leur déclaration à l’officier public, qui prend leur signalement, inscrit sur ses registres leur nom, le lieu de leur demeure, et leur délivre une médaille empreinte du sceau royal qu’elles sont tenues de porter, ainsi qu’un diplôme constatant la qualité de celle qui en est munie. » Dans cette immobile société, il n’y a pas même eu progrès dans la corruption. Les Chinois, dit Suleyman, sont gens de plaisir, » et il donne quelques détails qui égalent ce qu’on nous rapporte aujourd’hui de l’affreuse dépravation répandue dans ce pays. Quant à la débauche légalement organisée, le digne marchand s’en montre fort scandalisé. « Louons Dieu de ce qu’il nous a élevés au-dessus de ces infidèles et préservés d’une pareille infamie. »

Nos voyageurs prirent du thé dans ces tasses de porcelaine transparente que nous faisons venir à grands frais ; ils admirèrent ces meubles de laque que nous prisons si fort, ces pagodes aux pignons dorés, ces jardins coupés de mille canaux, ces plates-bandes où croissent toutes les variétés de fleurs aquatiques ; enfin la façon dont ils décrivent les étoffes de soie nous prouve que l’industrie du tissage, parvenue à un degré de perfection qui depuis n’a jamais été dépassé, produisait des étoffes si légères, que l’on doit porter une demi-douzaine de robes superposées pour se garantir convenablement du froid le plus médiocre. Aujourd’hui la soie n’est pas plus fine, les laques ne sont pas plus brillantes, la porcelaine n’est pas plus pure. Cependant, quelque étonnement que nous puissent causer ces progrès matériels réalisés à une époque reculée, ils coïncident après tout avec ceux qui s’étaient manifestés d’une manière analogue dans les sociétés antiques de l’Occident. Il faut rechercher plus haut l’originalité du peuple chinois. Une organisation politique assise sur le despotisme et l’aristocratie des intelligences,