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pas se brouiller avec l’Angleterre. Du désaveu de son amiral, il en est venu à l’indemnité Pritchard ; la paix du monde, qui a résisté depuis seize ans aux événemens d’Orient, de Belgique et de Pologne, a failli se rompre à la suite d’une querelle avec un missionnaire pharmacien.

A la suite de ce tableau, M. Thiers a placé une critique vive et pétillante de l’administration intérieure : il s’est attaché à la montrer atteinte de la même imprévoyance et de la même irrésolution signalée par lui dans la conduite de nos affaires extérieures, et il a terminé par un exposé fort grave de l’état actuel de nos finances, engagées pour de longues années, afin d’ôter au pays sa liberté d’action au dehors : système déplorable qui, selon l’honorable membre, peut aboutir à une crise financière imprévue autant que terrible, et fait de la paix bien moins une politique de choix qu’une politique de nécessité.

M. le ministre des affaires étrangères a choisi dans ce vaste ensemble les points qui lui paraissaient de nature à comporter une réfutation plus facile. C’était son droit sans doute, puisque la plupart des questions traitées par M. Thiers avaient été déjà résolues par la majorité, et qu’elle était étroitement engagée, depuis cinq ans, dans la politique que son illustre adversaire faisait ainsi comparaître devant le pays ; mais a-t-il affaibli l’impression générale produite par ce vaste tableau ? A-t-il justifié la soudaine rentrée de la France dans un accord dont elle avait été injurieusement exclue, la stérilité d’une alliance qui ne parvient pas même à amortir en Grèce et en Syrie l’implacable hostilité d’agens diplomatiques et consulaires ? A-t-il rendu raison des expéditions de l’Océanie, donné un sens à ces déplorables et coûteuses conquêtes ? A-t-il prouvé à la France qu’elle avait conclu avec le Maroc, après la bataille d’Isly, un traité analogue à celui qu’a signé l’Angleterre avec les Sikhs après la bataille d’Alliwall ? A-t-il dissipé l’impression pénible laissée dans les esprits à propos de l’annexion du Texas ? A-t-il enfin rendu l’indemnité Pritchard plus légère à porter devant les collèges électoraux ? Nous en doutons, et, malgré son immense talent, M. le ministre des affaires étrangères en doute à coup sûr autant que nous. Aussi s’est-il empressé de quitter les questions extérieures pour aborder le terrain moins compromettant de la politique intérieure. Avec une habileté spirituelle et nouvelle pour la chambre, il a semé les mots heureux et les épigrammes, au risque même, comme le lui a reproché M. Barrot, de ne pas toujours rencontrer une vérité. Opposant aux embarras intérieurs de l’opposition la forte discipline et la compacte unité du parti ministériel, montrant cette unité renforcée par le vote public, dernière conquête de la liberté constitutionnelle, il a demandé si une telle œuvre pouvait être sérieusement attribuée à la corruption, et si l’action exercée sur tout un grand parti pouvait dépendre de la satisfaction donnée à des intérêts individuels, si nombreux qu’on les suppose. Cette majorité qui l’appuie dans la chambre, M. Guizot prétend la posséder, aussi compacte, aussi dévouée, dans tous les corps électifs, depuis les conseils-généraux jusqu’à la garde nationale. N’en déplaise à l’éminent orateur, nous craignons qu’il ne se soit opéré dans son esprit une étrange et profonde confusion entre les intérêts généraux du parti conservateur et les actes particuliers imputés à son propre ministère. Que la France, à tous les degrés de sa hiérarchie élective, soit favorable à la politique conservatrice qui prévaut depuis seize ans et qu’on a cru devoir appeler la pensée