Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cheveux qui pend sur le collet de leur veste, et qu’ils doivent laisser croître à l’arrière de leur tête, pour attacher, les jours de combat, la bourse de rubans de rigueur. Ils causent sans gêne avec la jeunesse dorée des avant-scènes. Enfin, pour donner une idée de la considération dont ils jouissent, il suffira d’ajouter que Montès, avant été blessé, il y a quelques années, au cirque d’Aranjuez, le roi envoyait chaque jour un de ses chambellans savoir de ses nouvelles. Il ne faut donc pas trop s’étonner, comme on le fait, si ce même Montés vient d’envoyer ces jours-ci, à M. le duc de Nemours, en échange d’une épingle de diamans, un superbe costume de matador.

Ce combat, que je viens de vous raconter, est un des plus beaux que j’aie vus ; de plus, c’était le premier. Il m’émut extrêmement, et cependant, vous l’avouerai je ? je sortis du cirque dans un état d’exaltation difficile à décrire. J’eusse désiré que la lutte recommençât le lendemain, et je me disais qu’en définitive un spectacle pareil était plus sain pour l’esprit et le corps que ces farces de bateleurs auxquelles on nous convie le plus souvent, sous prétexte de littérature, sur les théâtres du boulevard. Dans ce moment, je voyais en beau l’espèce humaine, tandis que plus d’une fois à Paris je l’avais prise en pitié, en la voyant condamnée à répéter pendant trois mois quelque calembour grossier ou quelque ignoble grimace pour provoquer un rire dont les rieurs s’indignaient eux-mêmes. Je ne suis pourtant pas plus sanguinaire qu’un autre : je hais les chiens qui se battent, et un poulet qu’on étrangle me fait horreur ; mais les combats de taureaux n’ont, je vous assure, rien qui répugne. Ils exaltent l’imagination au contraire, et la grandeur du péril efface le dégoût. Les voyageurs de tout âge, de tout caractère, les aiment bientôt à la rage, et cette passion a été partagée récemment dans toute sa violence par une de nos plus grandes célébrités politiques et littéraires. Les jeunes femmes même, quand elles ont vaincu la répugnance première, se prennent à les adorer, et je n’ai vu personne en médire, si ce n’est un jeune Parisien qui s’était trouvé mal au premier coup de corne. Seuls, les chevaux blessés ou mourans peuvent attendrir un cœur sensible, et peut-être inspireraient-ils quelque pitié, si l’on ne songeait pas exclusivement au danger continuel que court leur cavalier. Le meurtre de ces chevaux innocens a fait accuser de cruauté les aficionados. En vérité, c’est bien à tort ; songez à ce qui se passe chez nous. Est-il plus cruel d’envoyer des chevaux au cirque que de les faire conduire à Montfaucon ? La corne du taureau est-elle plus douloureuse que le couteau de l’équarisseur ? Et n’aimez-vous pas mieux qu’un cheval de noble race, condamné à mort, meure dans un combat au bruit des applaudissemens, que de le savoir succombant honteusement dans une voirie où les rats attendent son cadavre ? J’en dirais autant des taureaux que j’aime mieux voir à l’arène qu’à l’abattoir. Le goût