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prix de ce travail doit s’élever avec la prospérité de l’industrie et s’abaisser avec l’adversité ; » principes fort justes, que la science a consacrés, et qu’il est nécessaire de faire comprendre aux classes ouvrières, si l’on veut adoucir leur sort.

Le problème ainsi posé, qui peut être chargé de le résoudre ? Si le plus sûr moyen d’améliorer le bien-être des masses est de les éclairer sur leurs devoirs, de leur donner le goût d’une vie régulière, de les lier par la reconnaissance, qui se chargera de ce soin ? Est-ce l’état ? On sait combien de ce côté son influence est bornée. Sans doute, son influence peut être utile, mais il faut qu’elle soit puissamment secondée. Or, où l’état trouverait-il des auxiliaires pour accomplir cette régénération des classes pauvres, si ce n’est dans ces associations puissantes qui occupent des milliers de bras, et pour lesquelles le bien-être moral et matériel des ouvriers est une condition de prospérité et de salut ? Les petites exploitations ne peuvent pas faire les sacrifices que cette œuvre exige. Leur responsabilité morale n’est pas d’ailleurs assez grande pour mettre leurs sentimens au niveau d’une telle mission. Il n’y a que des compagnies fortement organisées qui puissent la concevoir et la remplir. Adressez-vous donc à ces compagnies. Au lieu de soulever contre elles les passions populaires, tirez parti de leurs forces dans un intérêt d’humanité comme dans un intérêt d’ordre et d’avenir. En échange de la protection spéciale que le gouvernement leur accorde, quand elles viennent présenter leurs statuts au conseil d’état, imposez-leur des conditions favorables aux classes pauvres. Par là vous donnerez une sanction morale et politique à ce pouvoir industriel que la démocratie a tort de redouter, car il ne crée aucune influence permanente, et sa mobilité est le contrepoids de sa force. Chaque pouvoir a sa mission dans ce monde ; chacune des grandes influences qui ont passé sur la terre y a laissé une trace de sa légitimité temporaire. Donnez au pouvoir industriel et financier la mission d’améliorer le sort des classes pauvres, ce sera le moyen d’apaiser les préventions qu’il soulève dans le pays.

Jusqu’ici, dans les états modernes, cette pensée de réprimer l’association des capitaux ne se voit nulle part ; au contraire, partout on excite les capitaux à s’associer pour exécuter de grandes entreprises. C’est la condition du progrès, c’est la loi du temps. Disons-nous par là qu’il faille encourager des agglomérations excessives ? La France est-elle menacée d’une conspiration de capitaux ? Est-il question, comme on l’a dit à la tribune, d’accaparer les sources de l’eau et du feu, ou le blé du royaume ? La raison publique n’admet pas les hypothèses de cette nature. D’ailleurs, la loi pénale a prévu le cas où la spéculation prend le caractère d’un délit, et, pour ce qui regarde les associations houillères, la loi de 1810 suffit pour les empêcher d’exercer le monopole. En présence des articles 31 et 49, qui exigent, sous peine de la déchéance des concessionnaires, l’exploitation partielle et permanente de chacune des mines réunies, il n’y a pas d’association houillère qui puisse abuser de son omnipotence sur un bassin ou même sur un point étendu du royaume. Supposons que la compagnie des mines de la Loire, absorbant les mines dissidentes, finisse par occuper le bassin tout entier, quelle sera devant elle la situation du gouvernement ? Armé de l’art. 31, il pourra exiger que la compagnie exploite simultanément toutes les concessions du bassin de la Loire, ce qui lui imposera des charges très lourdes ; armé de l’art. 49, il pourra exiger que toutes ces exploitations soient sérieuses, et qu’elles répondent aux besoins de la consommation. Que veut-on de plus pour empêcher