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soit, ce mouvement de concentration universelle n’est pas aussi effrayant qu’on le pense pour les intérêts publics ou privés. Les esprits s’agitent ; on parle d’une féodalité nouvelle, on se croit à la veille d’une révolution sociale, on s’écrie que le monopole nous envahit de toutes parts, et l’on ne voit pas que ces agglomérations d’industries et de capitaux, nées de la concurrence, sont encore contenues et limitées par la concurrence même. En effet, si l’industrie se transforme chez nous, ne se transforme-t-elle pas ailleurs ? Ne voyons-nous pas, dans les états voisins, des coalitions puissantes qui menacent nos produits ? N’y a-t-il pas à nos portes une association industrielle et commerciale qui embrasse plusieurs royaumes ? Comment lutter contre de pareilles forces, si ce n’est avec les moyens qu’elles emploient ? Nos industries, nos manufactures, nos capitaux, ont donc raison de s’associer, puisque c’est la condition de leur salut, et leurs associations ne sont pas dangereuses, puisque, pour les contenir, elles ont le frein de la concurrence extérieure. Ajoutons que, dans l’intérêt de l’humanité, il faut se réjouir plutôt que s’alarmer de ces symptômes, car la puissance des capitaux agglomérés est seule capable d’établir entre les peuples un certain équilibre financier, et de faire tomber les barrières industrielles et commerciales qui les séparent.

Le projet de la commission, en combattant la libre association des capitaux, est donc en opposition avec les idées et les besoins du temps. En proposant d’interdire la libre association des concessionnaires de mines, il porte un coup funeste à l’industrie houillère. Si la réunion des mines devenait l’exception et leur isolement le principe, les bassins houillers seraient menacés de retourner à cet état de fractionnement anarchique qui a causé des pertes irréparables à la richesse houillère du pays. La bouille ne se reproduit pas, et c’est un capital inégalement distribué aux peuples ; toute proportion gardée entre les territoires, les houillères de la France sont dix fois moins riches que celles de l’Angleterre, neuf fois moins que celles de la Belgique ; on dit même que plusieurs de nos bassins seront épuisés avant un siècle. Dans un temps où la marine à vapeur et les chemins de fer commencent à modifier les forces respectives des états de l’Europe, serait-il prudent de livrer l’avenir de nos houillères à de nouvelles vicissitudes ?

Le projet de la commission a été conçu sous l’empire des préoccupations du jour. Hier on déplorait la timidité des capitaux ; aujourd’hui ou s’effraie de leur audace. On les accuse d’une tendance oppressive ; on croit que des concessionnaires de mines ne peuvent avoir d’autre but, en s’associant, que de rançonner les consommateurs. On ne voit pas qu’une association houillère, loin d’opprimer les industries qu’elle alimente, est intéressée à les faire prospérer ; qu’au lieu de peser sur les petits consommateurs, elle doit éviter de les froisser ; qu’au lieu de commettre des violences qui soulèveraient les masses contre elle, elle doit user de son pouvoir avec sagesse. On oublie qu’une compagnie puissante, qui a l’avenir devant elle, qui se sent à l’abri des orages de l’industrie, n’a pas besoin de spéculer sur la hausse des prix pour faire des bénéfices. Ses moyens de succès sont ailleurs : ils consistent dans les avantages d’une direction commune imprimée à l’exploitation de plusieurs gîtes distincts, dans la diminution des rouages administratifs, dans le perfectionnement des méthodes, dans une répartition meilleure des produits de diverse nature suivant les besoins des localités ; ils consistent surtout dans l’économie du capital houiller, dont la conservation exige de grands sacrifices, et qui se perd entre les mains des petites exploitations, toujours prodigues parce qu’elles sont faibles.