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au monopole de s’établir dans son sein. La liberté du travail, la concurrence régulière, l’intervention de la loi pour réprimer les abus, voilà les principes qui régissent notre industrie ; il faut les maintenir. Il est vrai que ces principes engendrent bien des souffrances, et l’on peut dire que le régime de la liberté industrielle est un combat. Aussi, malgré le cachet révolutionnaire de son origine, la liberté industrielle a aujourd’hui beaucoup d’ennemis, et, chose bizarre, les mêmes esprits qui, dans l’ordre industriel ou commercial, réclament le plus vivement une organisation forte, capable de réprimer tous les excès de la concurrence ; sont souvent les premiers, dans l’ordre politique, à soutenir les doctrines les plus subversives. Quoi qu’il en soit, la liberté industrielle, surveillée par un pouvoir vigilant et ferme, contenue par l’opinion, et appelée, comme tous les principes salutaires, à se corriger par l’action du temps, est encore le système qui convient le mieux à notre époque. Elle défie toutes les réformes et toutes les utopies qu’on lui oppose.

Il faut donc repousser le monopole ; mais, avant de le combattre, il faut savoir s’il existe. Or, quels sont les faits qui signalent sa présence dans l’industrie houillère ? Partout où le monopole se montre, il produit peu pour vendre cher, et il diminue le taux des salaires ; en d’autres termes, il rançonne le consommateur et il opprime les ouvriers. Quelles sont donc les exploitations houillères où se passent de pareils actes ? Est-il un seul bassin où les prix de vente aient excédé mesure de proportion qu’il est juste d’établir entre les produits des mines et ceux des autres industries ? On a publié des chiffres dans quelques documens isolés ; mais l’inexactitude de ces chiffres n’a-t-elle pas été démontrée ? La commission n’a pas voulu les relater dans son rapport ; elle n’a cité aucun fait irrégulier, aucun excès commis ; elle n’a exprimé que des craintes pour l’avenir. C’est donc un procès de tendance que l’on fait à l’industrie houillère.

On cite des agglomérations puissantes qui se sont formées sur plusieurs bassins houillers de la France, entre autres l’association des mines de la Loire. On dit que l’existence de cette société inquiète toutes les industries, et jette le trouble au sein d’une population qui ne peut vivre et prospérer sans les ressources qu’en tire du combustible minéral. Il importe, dit-on, que l’exploitation des mines ne puisse jamais devenir l’objet d’un monopole, et que le prix du combustible soit déterminé par la concurrence naturelle et libre des concessionnaires.

Oui, plusieurs sociétés puissantes se sont formées sur divers bassins houillers, et, en dernier lieu, l’association de plusieurs mines de la Loire a soulevé une vive opposition ; mais cette opposition est-elle fondée ? Ces sociétés qu’on veut dissoudre se sont-elles formées en vue du monopole, et pourront-elles l’exercer ? Voilà ce qu’il convient d’examiner avec la justice et la modération nécessaires.

Le système de concentration qui s’est déjà manifesté depuis long-temps dans l’industrie houillère est le résultat de la nécessité. Il tient à la nature même de cette industrie, aux difficultés immenses qu’elle présente, aux misères dont le système d’isolement et de fractionnement a été la cause. Il n’est pas nécessaire de recourir à des démonstrations techniques pour prouver que l’industrie houillère ne peut réussir qu’avec l’aide des grands capitaux et dans les grands centres d’exploitation ; le bon sens suffit pour comprendre cette vérité. L’industrie des mines exige des frais d’établissement considérables. Il faut creuser des puits, fouiller le sol à de grandes profondeurs, construire des travaux souterrains,