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Le premier résultat du changement proposé par la commission serait de porter atteinte à deux principes que les gouvernemens modérés ont toujours respectés savoir, que la propriété est inviolable, et que la loi n’a pas d’effet rétroactif. Si la loi de 1810 a permis au concessionnaire d’une mine de la vendre à un autre concessionnaire, il est évident que lui retirer cette faculté, c’est diminuer la valeur de sa propriété, c’est ressaisir dans ses mains un droit que l’état lui avait abandonné, c’est briser le contrat passé sous la garantie d’un engagement réciproque. Il est également évident que, si la loi de 1810 a permis de réunir plusieurs concessions dans une seule main sans le consentement de l’état, déclarer illégales toutes les réunions existantes et les placer sous le coup d’une dissolution, c’est violer des droits acquis sous l’empire d’une législation antérieure, c’est attaquer le principe de non-rétroactivité.

Dira-t-on que l’état est investi d’un droit souverain sur les mines ? Sans aucun doute, la propriété des mines ne peut être considérée comme une propriété ordinaire. Elle a des devoirs à remplir envers l’intérêt public : aussi, la loi de 1810 a pris à cet égard des garanties ; mais, en dehors des restrictions spéciales que le législateur lui a imposées, la propriété des concessions recouvre toute son indépendance. Dès que la mine est concédée, la souveraineté de l’état disparaît pour faire place à un droit de surveillance et de contrainte déterminé par la loi même.

La concession gratuite, dit-on : cela est vrai ; mais, en échange de la concession, le concessionnaire prend l’engagement d’exploiter à ses risques et périls. Or, l’exploitation est souvent ruineuse. La plupart des concessions houillères, si l’on calcule les sommes qu’elles ont englouties, n’ont encore donné que des pertes aux exploitans. L’histoire de chaque bassin houiller est une série d’illusions et de catastrophes. Prétendre que l’état peut retirer une concession par la raison qu’il l’a donnée gratuitement, c’est donc lui reconnaître le droit de commettre une grande injustice.

On objecte qu’en 1838 le législateur a imposé aux propriétaires de mines les obligations nouvelles. En effet, la loi de 1838, en ordonnant aux concessionnaires de faire des sacrifices communs pour arrêter les inondations, leur a imposé une condition qui n’était pas dans la loi de 1810 ; mais cette condition a-t-elle diminué la valeur des concessions houillères ? Si elle a eu pour but l’utilité générale, a-t-elle nui aux intérêts particuliers ? n’a-t-elle pas au contraire garanti la propriété même contre les dangers d’une concurrence égoïste ? D’ailleurs, la loi de 1838 n’a rien innové quant aux principes. La loi de 1810 avait prescrit aux concessionnaires d’exploiter de manière à répondre aux besoins de la consommation. Or, un concessionnaire qui refuse son concours pour arrêter une inondation voisine, est un concessionnaire qui néglige les intérêts de son exploitation, qui exploite mal, et manque par conséquent aux conditions de son contrat.

Ainsi, le projet de la commission attaque à la fois le droit de propriété et le principe de non-rétroactivité. Quelles sont les graves raisons que l’on invoque pour justifier cette violence ?

La commission ne veut pas que l’état laisse subsister une réunion houillère dont l’existence serait de nature à inquiéter des intérêts. Toute réunion de mines lui est suspecte. Elle dit aux concessionnaires : « Si vous formez des réunions sans le consentement de l’état, vous sortez de la légalité. Vous n’existerez plus