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houillères, les preuves ne manqueraient pas. En 1810, comme aujourd’hui, on reconnaissait que l’exploitation des mines exige des capitaux considérables, et que de semblables entreprises ne peuvent réussir qu’entre les mains des compagnies puissantes. C’était l’opinion de M. de Girardin, c’était celle de Napoléon. Vingt années auparavant, Mirabeau, émerveillé de la grandeur des travaux exécutés par la compagnie d’Anzin, provoquait lui-même les grandes associations sans craindre de froisser les idées d’un temps beaucoup plus porté que le nôtre à exclure les influences capables de dominer la société.

La loi de 1810 a voulu, dit-on, la concurrence. Certainement elle n’a pas voulu le monopole ; mais, si l’on croit que sa pensée a été d’établir sur chaque bassin une lutte entre des concessionnaires livrés à leurs forces individuelles, on se trompe étrangement, ou bien il faut que les divers gouvernemens qui ont régi la France depuis 1810 aient bien mal interprété la loi. En effet, qu’est-il arrivé depuis cette époque ? Trois mois après la promulgation de la loi du 21 avril, un décret spécial autorisait la société d’Anzin, qui venait de réunir dans le bassin de Valenciennes treize concessions formant plus de la moitié du territoire et presque les deux tiers de l’exploitation. Cet énorme faisceau embrassait plus de vingt-six mille hectares. Était-ce là organiser la concurrence ? Plus tard, combien d’autres compagnies ont établi leur prépondérance sur des bassins houillers, soit en recevant de l’état des concessions immenses, qui les rendaient maîtresses de la consommation sur un point du royaume, soit en formant des associations que le gouvernement a jugées légales, puisqu’il ne les a pas dissoutes ! On ne parle aujourd’hui que de la compagnie de la Loire, qui occupe cinq mille hectares ; mais le bassin de Litry, qui comprend près de douze mille hectares, et qui s’étend sur deux départemens, le Calvados et la Manche, n’appartient-il pas à une seule compagnie ? N’en est-il pas de même du bassin de Decize dans la Nièvre, d’Aubenas dans l’Ardèche, de Carmeaux dans le Tarn, de Bouxwiller dans le Bas-Rhin, et de beaucoup d’autres plus ou moins considérables où la concurrence locale a été supprimée au profit d’une exploitation unitaire, soit par l’initiative du gouvernement lui-même, soit avec son autorisation expresse ou tacite ? On veut que les acquisitions faites par la compagnie de la Loire soient illégales ; mais, pour ne parler que des faits les plus récens, n’a-t-on pas vu dans ces derniers temps la compagnie de Blanzy, dans Saône-et-Loire, acheter et réunir ostensiblement entre ses mains plusieurs mines contiguës à son territoire ? Qui donc a blâmé ces acquisitions ? qui a songé à discuter leur validité ou leur convenance ? qui s’est occupé de savoir si elles étaient contraires à la lettre ou à l’esprit de la loi de 1810 ?

Il est difficile de supposer que les gouvernemens qui ont régi la France depuis 1810 se soient tous accordés pour violer un principe fondamental de la loi des mines ; que le conseil d’état, les tribunaux eux-mêmes, les jurisconsultes, se soient rendus complices de cette violation ; que les intérêts froissés aient consenti à se taire pendant plus de trente ans, et que la pensée du législateur n’ait pu se retrouver que de nos jours, après avoir été si complètement méconnue. Nous ne pouvons admettre une pareille supposition. Nous ne pouvons croire que le passé mérite le reproche d’illégalité que la commission fait peser sur lui. Nous croyons au contraire que la loi de 1810 a été fidèlement observée. Si l’on eût attaqué devant le gouvernement de 1810 ces grandes exploitations houillères que la commission