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vin même est mouillé et lui fait mal au cœur après les œufs, parce qu’il contient « trop de la boisson des bœufs. »

Il est encore un ordre qui sourirait assez à notre auteur, n’était un grave inconvénient qu’il ne manque pas de nous signaler. Il voudrait bien être templier.

Mais pour rien je ne combattrais.
L’ordre est bonne et belle, sans faille,
Mais ne me sied pas la bataille.


Guyot serait bon soldat s’il ne fallait pas se battre. La bravoure n’est pas son fait. Il s’étonne beaucoup qu’il y ait gens au monde qui en bataille ne fuient pas. Quant à lui, son parti est bien pris, il ne ferait pas tant de façons,

Et si dans leur ordre j’étais
Je sais fort bien que je fuirais.


Quatre fois Guyot revient sur cette honteuse déclaration qu’il croit sans doute bien spirituelle. Ce qu’il y a de piquant, c’est qu’entre ces grossiers axiomes de la vie animale se trouvent semées des exhortations à l’humilité, à la pureté, à l’obéissance, pacifiques vertus qui assurent la possession de la vie future sans compromettre la sécurité de la vie présente. L’éloge qu’il en fait se termine par ce refrain antichevaleresque oû il ramène le souvenir des templiers

Mais ils se combattront sans moi.


On voit qu’à côté de ses don Quichottes le XIIIe siècle avait aussi ses Sancho-Pancas.

On a pu juger, sinon la diction, du moins la manière de Guyot par nos nombreuses citations. On y a remarqué sans doute une vivacité mordante, un tour généralement spirituel et convenable à la satire. Toutefois les qualités de son style dépendent plutôt de l’instinct que de l’art. Sa malice lui enseigne souvent la concision ; sa facilité extrême l’entraîne presque toujours dans la prolixité. Chose étrange ! il est à la fois serré et diffus, concis dans l’expression de chaque idée, et long par la répétition multipliée de cette idée concise. Presque toujours exempt du mauvais goût et de la subtilité scolastiques, il y tombe pourtant quelquefois, et les habitudes du controversiste reparaissent à travers les sarcasmes du poète. Le bon vieil esprit gaulois et la pruderie monacale se coudoient sans cesse chez Guyot, non sans présenter d’amusans contrastes. On sourit de voir ce bon vivant affublé d’un froc, jouant de bonne foi son personnage, sans inconvenance comme sans hypocrisie, mais laissant échapper çà et là par malheur un petit bout d’oreille, débitant de beaux lieux-communs de morale pour l’acquit de sa conscience, et avec la même exactitude qu’il mettait à dire son bréviaire ; puis tout à coup raillant, riant, se moquant de tout le monde et de lui-même ; mélange plaisant de deux élémens antipathiques, composé bizarre d’un moine et d’un bourgeois.

Il est une autre bible qu’on a long-temps regardée comme une partie de la précédente. Le comte de Caylus a le premier établi la distinction de ces deux ouvrages, et il suffit de les lire pour n’en pouvoir douter. Celui dont il nous reste à parler a pour auteur un homme de guerre, un châtelain, le seigneur Hugues de Berze. Avec lui, no us allons changer de point de vue : Guyot nous a