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du Nouveau-Monde. Quelques individus, transportés sur cette terre étrangère et rendus accidentellement à la liberté, ont suffi pour engendrer ces races sauvages dont les troupes innombrables animent aujourd’hui la solitude des pampas, les marais de la Floride et les prairies sans bornes des États-Unis. Nos abeilles étaient également inconnues dans l’Amérique du Nord, à l’époque où les persécutions religieuses fondèrent ces colonies qui sont devenues un des plus puissans empires modernes. De nos jours, elles y vivent à l’état sauvage, et, parties des rivages de l’Atlantique, elles s’enfoncent rapidement dans l’intérieur. Selon M. Warden, en 1797, on n’en rencontrait pas encore à l’ouest du Mississipi. En 1811, elles avaient franchi cette barrière et remonté ce fleuve, ainsi que le Missouri, sur une étendue de deux cents lieues. Leurs essaims avaient donc avancé d’environ quatorze lieues par an. Aujourd’hui la récolte du miel sauvage est, pour l’Anglo-Américain des frontières, une véritable branche d’industrie et de commerce.

Si le globe terrestre n’était habité que par des êtres livrés aux seules impulsions de l’instinct, la répartition des espèces animales serait probablement réglée uniquement par les trois causes générales que nous venons d’indiquer. De leur action plus ou moins énergique, de leurs compensations mutuelles résulterait un équilibre que rompraient seulement ces grands cataclysmes qui bouleversent les mondes eux-mêmes. Mais l’homme, avec son intelligente activité, joue au milieu de ces élémens un rôle dont l’influence incontestable a déjà changé plus d’un trait de la géographie zoologique naturelle. Il a multiplié les espèces utiles, poursuivi et anéanti quelquefois les espèces nuisibles, celles même qui n’avaient d’autre tort que de ne pouvoir servir à ce maître du monde. Dans le XVIe et le XVIIe siècle, on trouvait en grande abondance, aux îles de France et de Bourbon, un oiseau de la grosseur du cygne, mais construit de manière à ne pouvoir ni voler ni nager avec facilité. Ces îles se peuplèrent, et les drontes, dont la chair était d’ailleurs mauvaise à manger, disparurent si bien, que plusieurs naturalistes, et Cuvier lui-même, ont été jusqu’à douter de leur existence passée. Le fait est qu’il n’en reste plus d’autres traces qu’un bec et deux pattes, échappés comme par miracle à la voracité des insectes, et que l’on conserve aujourd’hui précieusement dans le musée d’Oxford.

Partout où l’homme a porté ses pas, nous le voyons marcher accompagné d’espèces animales dont il a su s’entourer pour satisfaire ses besoins ou ses caprices. Partout nous le voyons exproprier au profit de ces utiles serviteurs les espèces sauvages qui occupent le sol. Le chien, le cheval, ont pénétré avec lui dans toutes les parties du globe. Le bœuf, le mouton, remplacent au cap de Bonne-Espérance le buffle et les antilopes ; dans l’Amérique du Nord, le bison et le cerf ; dans la Polynésie,