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toute personnelle, qui, en décrivant les plus grands phénomènes accomplis par la nature dans les deux hémisphères, pouvait à chaque instant dire : J’ai vu. Cependant de cruelles compensations vinrent attrister ces jours de triomphe. M. de Humboldt se vit coup sur coup frappé dans ses affections les plus chères. Ce fut à cette époque qu’il perdit ce Guillaume de Humboldt, qui, partageant pour ainsi dire le monde intellectuel avec son frère, avait su être à la fois homme d’état, poète, philologue, philosophe, historien, et qui mourut en récitant les odes de Pindare.

En décrivant, dans son cours sur la physique générale du globe, les régions du Nouveau-Monde, M. de Humboldt avait senti augmenter ses regrets de ne pas connaître par lui-même l’intérieur de l’ancien continent. En 1829, une occasion s’offrit de rompre un repos qui commençait à lui peser, et de mettre enfin le pied sur cette Asie qui semblait fuir devant lui. La Russie entrait dans la voie d’explorations qui a fait découvrir tant de richesses inattendues au sein de ses immenses domaines. Certes, la Sibérie ne pouvait avoir pour M. de Humboldt le même intérêt que cette terre de l’Inde qui fut le rêve de sa vie entière, et où il aurait trouvé des termes rigoureux de comparaison entre les contrées équatoriales des deux continens ; mais l’Angleterre lui fermait le sud de l’Asie, il résolut de l’attaquer par le nord. Il offrit de diriger un voyage de découvertes dans la Sibérie et l’Asie centrale. Grace à l’intervention directe de Frédéric-Guillaume, sa proposition fut accueillie par le gouvernement russe, qui se chargea de tous les frais, et lui abandonna la direction de l’entreprise. M. de Humboldt se montra digne de cette confiance, et par le choix de ses compagnons il prouva une fois de plus combien peu il redoutait d’avoir à ses côtés les hommes du plus haut mérite. Il s’adjoignit entre autres M. Ehrenberg, déjà célèbre par son voyage sur les côtes de la mer Rouge, par ses admirables découvertes micrographiques, et M. Gustave Rose, un des minéralogistes modernes les plus distingués. Les résultats d’une expédition ainsi composée furent tels qu’on avait droit de l’espérer. M. de Humboldt put enfin comparer l’Asie à l’Amérique, les steppes de l’Obi aux pampas du Brésil, les plateaux de l’Altaï aux llanos des Cordillières, et, de retour en Europe, il publia successivement ses Fragmens asiatiques et son Asie centrale, ouvrages dans lesquels, en faisant connaître un grand nombre de faits relatifs à la géologie et à la climatologie de cette partie du monde, il jeta un jour tout nouveau sur plusieurs des grandes questions de la physique générale.

À dater de cette époque, M. de Humboldt parut renoncer aux expéditions lointaines. Cependant, s’il laissa à de plus jeunes hommes le soin d’agrandir les voies qu’il leur avait frayées, il n’en conserva pas moins pour la science tout son amour d’autrefois. Ami du roi de Prusse ac-