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et sans murmures se continuer l’envahissement des offices royaux sur les seigneuries, et le mouvement qui entraînait tout vers l’égalité civile et l’unité d’administration. L’activité qu’ils avaient gaspillée en turbulence sous Charles VII et sous Louis XI, ils la dépensèrent en héroïsme dans les batailles que la France livrait pour se faire une place digne d’elle parmi les états européens. Ils se formèrent d’une façon plus sérieuse et plus assidue que jamais à cette grande école des armées régulières, où s’apprennent, avec le patriotisme, l’esprit d’ordre, la discipline et le respect pour d’autres mérites que ceux de la naissance et du rang.

La marche ascendante de la civilisation française, depuis les dernières années du XVe siècle, se poursuivit sous François Ier, en dépit des obstacles que lui opposaient, d’une part, le désordre où tomba l’administration, et, de l’autre, une lutte politique où la France eut plusieurs fois contre elle toutes les forces de l’Europe. Au milieu de dilapidations scandaleuses, de grandes fautes et de malheurs inouis, non-seulement aucune des sources de la prospérité publique ne se ferma, mais il s’en ouvrit de nouvelles. L’industrie, le commerce, l’agriculture, la police des eaux et forêts, l’exploitation des mines, la navigation lointaine, les entreprises de tout genre, et la sécurité de toutes les transactions civiles, furent l’objet de dispositions législatives dont quelques-unes sont encore en vigueur[1]. Il y eut continuation de progrès dans les arts qui, font l’aisance de la vie sociale et que le tiers-état pratiquait seul, et il y eut dans la sphère plus haute de la pensée et du savoir un élan spontané de toutes les facultés de l’intelligence nationale. Là se rencontre à son apogée cette révolution intellectuelle qu’on nomme d’un seul mot la renaissance, et qui renouvela tout, sciences, beaux-arts, philosophie, littérature, par l’alliance de l’esprit français avec le génie de l’antiquité. À ce prodigieux mouvement des idées, qui ouvrit pour nous les temps modernes, l’histoire attache le nom de François Ier, et c’est justice. L’ardeur curieuse du roi, son patronage sympathique et ses fondations libérales précipitèrent la nation sur la pente où elle cheminait d’elle-même. L’impulsion une fois donnée suffit, et, sous Henri II, l’éclat nouveau dont brillaient l’art, les sciences et les lettres, s’accrut encore sans que le roi y fût pour rien. Ces deux règnes forment une seule époque dans l’histoire de notre civilisation, période à jamais admirable, qui embrasse cinquante-neuf ans du XVIe siècle, et marque d’un signe glorieux le caractère de ce siècle, si grand dans la première moitié de son cours, si plein de misères et de convulsions dans la seconde.


AUGUSTIN THIERRY.

  1. Voyez, dans le Recueil des anciennes lois françaises, par M. Isambert, t. XI et XII, les Ordonnances de François Ier, et, entre autres, l’édit de Villers-Cotterets en 192 articles ; août 1539.