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coutumes de France et de les publier révisées et sanctionnées par l’autorité royale avait été conçu et annoncé par Charles VII ; Louis XI en fit la base de ses plans d’unité de loi nationale, mais il n’en exécuta rien ; Charles VIII décréta de nouveau ce qu’avait voulu faire son aïeul, et ce fut à Louis XII qu’échut l’honneur d’avoir non-seulement commencé, mais encore poussé très loin l’exécution de cette grande entreprise[1]. De 1505 à 1515, année de la mort du roi, vingt coutumes de pays ou de villes importantes furent recueillies, examinées et publiées avec la sanction définitive[2]. Ce travail de rédaction et en même temps de réformation de l’ancien droit coutumier a pour caractère dominant la prépondérance du tiers-état, de son esprit et de ses mœurs dans la législation nouvelle. Un savant juriste en a fait la remarque, et il cite comme preuve les changemens qui eurent lieu, pour les mariages entre nobles, dans le régime des biens conjugaux[3]. À ce genre d’altération que les coutumes subirent presque toutes se joignit pour les transformer la pression que le droit romain exerçait de plus en plus sur elles, et qui, à chaque progrès de notre droit national, lui faisait perdre quelque chose de ce qu’il tenait de la tradition germanique.

Au roi qui avait reproduit l’une des faces du caractère de saint Louis par sa soumission à la règle et son attachement au devoir, succéda un prince qui ne connut d’autre loi que ses instincts, sa volonté et l’intérêt de sa puissance. Heureusement, parmi les hasards où François Ier abandonnait sa conduite, il lui arriva souvent de rencontrer juste pour sa gloire et pour le bien du royaume. Ses instincts, mal gouvernés, étaient généreux et ne manquaient pas de grandeur ; sa volonté, arbitraire et parfois violente, fut généralement éclairée, et ses vues égoïstes furent d’accord avec l’ambition nationale. Novateur en choses brillantes, il ne ralentit point le progrès des choses utiles. Louis XI s’était rendu odieux à la noblesse, et Louis XII lui avait déplu en continuant la même œuvre sous d’autres formes : de là le danger d’une réaction capable de jeter le pouvoir royal hors des voies qu’il s’était frayées de concert avec la bourgeoisie. On pouvait s’y attendre à l’avènement d’un roi gentilhomme avant tout, et affectant de l’être dans ses vertus et dans ses vices ; mais il n’en fut rien, grace à la cause même qui rendait probable un pareil retour. L’amour des nobles pour le nouveau roi, la séduction qu’il exerçait sur eux endormit leurs passions politiques ; ils virent sans résistance

  1. Voyez l’ordonnance de Charles VII avant Pâques 1453, et celles de Charles VIII, 28 janvier 1493 et 15 mars 1497 ; Recueil des Ordonnances des rois de France, t. XIV, p. 234, et t. XX, p. 433, et Richebourg, Coutumier général, t. IV, p. 639.
  2. Celles de Touraine, Melun, Sens, Montreuil-sur-Mer, Amiens, Beauvoisis, Auxerre, Chartres, Poitou, Maine, Anjou, Meaux, Troyes, Chaumont, Vitry, Orléans, Auvergne, Paris, Angoumois et La Rochelle.
  3. M. Édouard Laboulaye, Recherches sur la condition civile et politique des Femmes depuis les Romains jusqu’à nos jours, p. 378.