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se multipliait, de nouveaux quartiers se formaient dans les villes, et partout l’on bâtissait des maisons plus commodes ou plus somptueuses. L’aisance de la classe moyenne se montrait plus que jamais dans les habits, les meubles et les divertissemens coûteux. Le nombre des marchands s’était accru de manière à exciter l’étonnement des contemporains, et le commerce lointain avait grandi en étendue et en succès ; le prix de toutes choses était plus élevé, les terres rapportaient davantage, et la rentrée des impôts avait lieu sans contrainte et à peu de frais[1]. C’est peut-être là qu’il faut placer dans la série de nos progrès nationaux en richesse et en bien-être une secousse intermédiaire entre celle qu’avait provoquée, trois siècles auparavant, la révolution municipale, et l’impulsion souveraine qui fut donnée, trois siècles après, par la révolution constitutionnelle du royaume. À ce point répond d’ailleurs le premier degré de fusion des classes diverses dans un ordre public qui les embrasse et les protége toutes, sur un territoire désormais uni et compact, et sous une administration déjà régulière et qui tend à devenir uniforme.

Il semble que Louis XII ait eu à cœur d’éteindre tous les griefs dénoncés par les états de 1484 ; le plus grand acte législatif de son règne, l’ordonnance de mars 1499, en est la preuve. L’on y voit, à propos du règlement de tout ce qui regarde la justice, l’intention de satisfaire aux plaintes restées sans réponse, et de remplir les promesses imparfaitement exécutées. Le principe de l’élection pour les offices de judicature, principe cher à l’opinion bourgeoise et qu’avaient hautement soutenu les réformateurs de 1413, s’y montre accompagné de garanties formelles contre l’abus de la vénalité[2]. Le gouvernement de Louis XII était surtout économe et affectueux pour le pauvre peuple ; il se proposa généreusement, mais imprudemment peut-être, la tâche de continuer la guerre en diminuant les impôts. Ce roi d’un esprit chevaleresque fut l’idole de la bourgeoisie ; il avait pour elle de grands égards sans affecter en rien de lui ressembler. La seule assemblée politique tenue sous son règne fut un conseil de bourgeois où la noblesse et le clergé ne figurèrent que comme ornement du trône ; les députés des villes et du corps judiciaire, seuls convoqués expressément, votèrent seuls, et, c’est dans ce congrès du tiers-état que fut décerné à Louis XII par la bouche d’un représentant de Paris le titre de père du peuple, que l’histoire lui a conservé.

Il y a de la gloire dans un pareil nom, mais une autre gloire de ce règne fut d’établir la prédominance de la législation sur la coutume, et de marquer ainsi, dans la sphère du droit civil, la fin du moyen-âge et le commencement de l’ère moderne. Le projet de rédiger toutes les

  1. Les Louenges du bon roy de France Louys XII, dict le père du peuple, et de la félicité de son règne, par Claude de Seyssel, édit. de Th. Godefroy, p. 111 et suiv.
  2. Voyez l’ordonnance de mars 1499 sur la réforme de la justice, art. 30, 31, 32, 40, 47 et 48. (Recueil des anciennes lois françaises, par M. Isambert, t. XI, p. 323.)