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qui obligèrent l’assemblée à élever le taux de la somme d’argent qu’elle avait résolu d’accorder. En tout, les représentans de la bourgeoisie, autant qu’on peut distinguer leur part dans des résolutions votées par tête et non par ordre, s’attachèrent aux choses purement pratiques et d’intérêt présent. On ne les vit point, comme l’échevinage et l’université de Paris en 1413, présenter un système nouveau d’administration ; le règne de Louis XI n’avait rien laissé à concevoir en ce genre d’important ni de possible. Il n’y avait plus qu’à glaner après lui, ou qu’à détendre les ressorts du gouvernement qu’il avait forcés sur tous les points, qu’à demander l’accomplissement de ses projets restés en arrière et la guérison des maux qu’il avait causés par la fougue et les inadvertances de sa volonté absolue. Les principaux articles du chapitre du tiers-état dans le cahier général des trois ordres furent : la diminution des impôts et la réduction des troupes soldées, la suppression de la taille comme taxe arbitraire, la reprise des portions aliénées du domaine royal, la mise en vigueur des actes garantissant les libertés de l’église gallicane, et la rédaction par écrit des coutumes, qui devait être un premier pas vers l’unité de loi[1].

L’assemblée de 1484 eut soin de ne voter aucun subside qu’à titre de don et d’octroi. Elle demanda la convocation des états-généraux sous deux ans, et elle ne se sépara qu’après en avoir reçu la promesse[2] ; mais les quatorze années du règne de Charles VIII s’écoulèrent sans que les états eussent été une seconde fois convoqués, et les taxes furent de nouveau levées par ordonnance et réparties sans contrôle. A en juger par le zèle des trois ordres à faire une loi de leur consentement, et par le tableau que leurs cahiers traçaient de la misère du peuple accablé sous le faix des impôts, ce fut une grande déception ; tout semblait dire que la monarchie absolue menait le pays à sa ruine, et pourtant il n’en fut rien. Le pays resta sous le régime arbitraire ; il eut à supporter encore les abus, souvent énormes, de ce régime ; il souffrit sans doute, mais, loin de décliner, ses forces vitales s’accrurent par un progrès sourd et insensible. Il y a pour les peuples des souffrances fécondes comme il y en a de stériles ; la distinction des unes et des autres échappe aux générations qui les subissent ; c’est le secret de la Providence, qui ne se révèle qu’au jour marqué pour l’accomplissement de ses desseins. Chose singulière, ce fut dans le temps même où la voix publique venait de proclamer avec amertume l’épuisement prochain du royaume, que fut résolue, par un coup de tête follement héroïque de Charles VIII, l’invasion du sud de l’Italie, la plus lointaine expédition que la France eût encore faite. Il fallut dépasser en armemens les dépenses du règne

  1. Voyez le Journal des états-généraux tenus à Tours en 1484, appendice n° 1.
  2. Ibid., p. 449, 451 et 712.