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exercent leur magistrature ; ils ne peuvent rien y acquérir, ni s’y marier, ni y marier leurs filles. La juridiction des eaux et forêts, souvent tyrannique pour les campagnes, est restreinte dans son étendue, et soumise en appel au parlement. Il est statué que les usages ruraux seront partout respectés, que les paysans pourront s’armer pour courir sus aux pillards, qu’ils auront le droit de poursuivre les loups, de détruire les nouvelles garennes faites par les seigneurs, et de refuser à ceux-ci tout péage établi sans titre[1].

Ce qui fait le caractère de cette grande ordonnance et la distingue de celle du 3 mars 1357, c’est que, sauf l’élection pour les emplois judiciaires, elle n’institue rien de nouveau, laisse intact le pouvoir royal et se borne à lui tracer des règles administratives. L’expérience du siècle précédent a porté ses fruits ; en dépit de son nouvel accès de fougue révolutionnaire, l’esprit de la bourgeoisie parisienne est au fond plus rassis et plus modéré. Sous cette domination anarchique de la municipalité dominée elle-même par une faction d’hommes grossiers et violens, des idées calmes de bien public, jusque-là contenues, se sont fait jour au travers et peut-être à la faveur du désordre. Suivant une remarque applicable à d’autres temps de révolution, « les violens ont exigé ou dicté, les modérés ont écrit[2]. » Ceux même qui présidaient aux violences ou les couvraient de leur aveu ne furent point sans vertus civiques ; ils eurent dans le cœur des sentimens de patriotisme que leur expression ferait croire modernes. Le corps municipal de Paris, écrivant aux autres villes et leur rendant compte de ses actes, disait : « Cette présente poursuite est pour garder que l’estat de la chose publique de ce royaume ne verse en désolation, ainsy qu’elle estoit en voie… à quoy, en temps de nécessité comme le temps présent, ung chascun se doit emploier, et préférer la pitié du païs à toutes les aultres, soit de parens, frères ou aultres quelconques, car elle comprent toutes[3]. » C’étaient là de nobles paroles, dignes d’annoncer la grande charte de réforme, œuvre commune du corps de ville et de l’université ; mais cette loi administrative de la vieille France, il se trouva des hommes pour la concevoir, il ne s’en trouva point pour l’exécuter et la maintenir. Les gens sages et rompus aux affaires n’avaient alors

  1. Ordonnance de Charles VI du 25 mai 1413, art. 174, 190, 166,154,179, 229 à 234, 236, 238, 241, 244, Recueil des Ordonnances, t. X, p. 70 et suiv. — L’ordonnance est divisée en dix chapitres généraux qui traitent successivement du domaine, des monnaies, des aides, des trésoriers des guerres, de la chambre des comptes, du parlement, de la justice, de la chancellerie, des eaux et forêts, et enfin des gens d’armes.
  2. Histoire de France, par M. Michelet., t. IV, p. 245.
  3. Lettre des prévost des marchands, eschevins, bourgeois, manans et habitans de la ville de Paris aux maire, eschevins, bourgeois, manans et habitans de la ville de Noyon (3 mai 1414), archives de l’hôtel-de-ville de Noyon. — Selon toute probabilité, cette lettre était une circulaire.