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nerai peut-être quelque intérêt à ces recherches en ajoutant que je les extrais en partie d’un livre écrit par le célèbre Francisco Montès lui-même, dont personne en France, que je sache, n’a encore apprécié ni même révélé le talent littéraire[1].

De l’avis du premier matador de ce siècle, — et cette opinion seule donnera de l’homme une idée nouvelle, — il faut faire remonter l’origine des combats de taureaux au temps de la domination romaine, et même fort au-delà. Le spectacle adoré des Romains était, comme on le sait, les luttes des hommes contre des bêtes féroces, et les ruines imposantes des amphithéâtres de Tolède, de Mérida, prouvent que nulle part au monde ils ne célébraient avec plus de pompe qu’en Espagne ces fêtes « barbares et cruelles (crueles y barbaros) ; » ainsi les juge Montès, et je le remarque à dessein. Il est certain toutefois que les taureaux ne paraissaient jamais, ou presque jamais, dans les cirques ; les lutteurs avaient affaire le plus souvent à des lions ou à des tigres, et les spectacles sanglans du peuple-roi donnèrent au peuple espagnol le goût des combats dans les arènes, sans fonder cependant la tauromachie, dont l’idée première, bien autrement ancienne, doit être attribuée, si nous en croyons notre auteur, au père Adam lui-même. En effet, quand l’homme, nouvellement créé, errait dans les espaces dont Dieu le faisait roi, il sentit la nécessité de vaincre et de s’approprier les animaux qui vaguaient avec lui dans ces solitudes. Un de ses premiers soins fut sans doute de courber sous le joug le taureau, dont la force lui était nécessaire, dont la chair lui était agréable, et dont la femelle lui donnait un lait savoureux. Pour le dompter, il appela toute son intelligence à son aide, il opposa l’adresse à la force brutale ; de là naquit la tauromachie, et les fils d’Adam furent les premiers toreros. Je ne m’attarderai pas davantage, avec Montès, dans les siècles antédiluviens ; j’ai voulu seulement faire sentir le ton emphatique qui distingue les premières pages de ce singulier livre, et je m’arrête, sachant fort bien qu’il faut être un grand matador pour se permettre en littérature des libertés pareilles. Je ne voudrais cependant pas que cette critique donnât de la tauromaquia une idée trop défavorable. Cet ouvrage, en définitive, est amusant ; il est bien coordonné et, autant que j’en puisse juger, bien écrit. La partie technique est claire, simple, et l’on doit pardonner la solennité du début à un auteur épris à si juste titre de la grandeur de son art.

Si nous passons le déluge et même l’époque de la domination romaine, nous arrivons, comme il est naturel en Espagne, au Cid. L’opinion générale veut, en effet, que le célèbre Ruy ou Rodrigo-Diaz del Vivar, nommé le Cid, soit le premier qui ait combattu les taureaux à

  1. Tauromaquia completa, ô sea et arte de torear en plaza, escrita por et celebre lidiador F. Montès. — Madrid, 1836.