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se serait émue davantage, si ces faits n’empruntaient pas à leur nature même un caractère de commérage local qu’il est impossible de leur enlever.

L’honorable M. Corne, un des membres les plus consciencieux de la gauche, a pour concurrent M. de Saint-Aignan, ancien préfet du département du Nord, et l’on comprend que M. Maurice Duval, avec son habileté bien connue, vienne en aide aux projets électoraux de son prédécesseur. M. de Larochejacquelein, aux prises avec M. le général de Rumigny, ne trouve pas dans le préfet du Morbihan un adversaire moins actif. M. de Saint-Priest est également serré de près dans le Lot par M. Calmon fils, maître des requêtes, concurrent redoutable dans un département où tous les fils d’électeurs sont accoutumés à naître receveurs de l’enregistrement. On connaît la lutte que M. Leyraud soutient dans la Creuse, et celle qui attend à Montpellier M. de Larcy, nommé à une voix de majorité. C’est dans de telles localités et en de telles circonstances que les bureaux de tabac ont tout leur prix, et qu’un secours pour construire une maison d’école ou élever un paratonnerre peut avoir de graves conséquences politiques. Ces messieurs n’ont pas manqué de les signaler ; mais, quels qu’aient été leurs efforts, ils ne sont pas parvenus à enlever à ces querelles de clocher leur caractère d’anecdote, et il faut infiniment d’esprit pour mettre une chambre à ce régime pendant deux séances, lorsqu’on voit du palais Bourbon la belle verdure des Champs-Elysées, et qu’on rêve à de prochains loisirs sous ses ombrages domestiques. M. de Maleville seul a réussi à captiver la chambre, parce qu’aux traits piquans, qui ne lui font jamais défaut, il a su joindre une pensée politique chaleureusement développée. Jusqu’alors, M. le ministre de l’intérieur avait triomphé sans fatigue et sans peine des percepteurs Pieuvé et Picaret ; il avait pu proclamer sans opposition la victoire de M Dubuisson d’Inchy, soldat de Marengo, sur M. d’Havrincourt, ancien élève de l’École polytechnique. Il lui avait été plus facile encore d’opposer une impassible ironie aux gestes démesurés de l’honorable M. de Larochejacquelein, et de percer ce ballon d’un trait délicat et acéré ; mais, lorsqu’il s’est trouvé dans le cas de répondre à M. de Maleville, M. Duchâtel a dû faire de plus grands efforts, et une lutte d’esprit et de bon goût s’est engagée devant la chambre pour le canon tiré à Belfort, et à l’occasion d’un tableau promis sans avoir été donné. M. de Maleville a déployé dans cette discussion une verve et un talent fort supérieurs au sujet qu’il s’était imposé l’obligation de traiter. Nous avons désormais la certitude qu’il sera à la hauteur de toutes les discussions, lorsque les discussions mêmes seront à la hauteur de son esprit.

Mais un débat plus sérieux allait s’engager sur deux intérêts d’une autre nature, et mettre aux prises avec éclat les deux personnages parlementaires qui sont devenus plus que jamais la personnification principale des forces politiques du pays. M. de Beaumont a engagé la question du Maroc, traitée à fond par M. Billault ; M. Thiers n’a pas hésité à soulever lui-même celle de Buénos-Ayres.

Quelle était la nature de la mission donnée à M. le général Delarue dans le courant de l’année dernière ? Pourquoi le traité conclu par lui avec un plénipotentiaire d’Abd-er-Rhaman n’a-t-il pas été ratifié, ou plutôt pourquoi ne l’a-t-il été qu’après la suppression de toutes les clauses commerciales primitivement annexées