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ne serait pas à l’abri du reproche, car il n’a pas la dignité qui convient à la statuaire. Si de l’attitude générale de la figure nous passons à l’analyse des différens morceaux dont elle se compose, nous retrouvons encore la trace de la précipitation dont je parlais tout à l’heure. La tête n’est pas étudiée avec tout le soin, avec toute l’attention que nous avions le droit d’attendre. Elle est restée à l’état d’indication, on ne peut pas dire qu’elle soit vivante. La main droite, placée sur la cuisse, est mieux étudiée que la tête, ce qui a lieu de nous surprendre. Le corps est tellement serré dans l’uniforme, qu’il manque entièrement de souplesse. Il est possible que M. Pradier ait copié fidèlement les lignes que lui donnait l’uniforme ; il est possible qu’il ait reproduit avec une littéralité scrupuleuse tout ce qu’il a vu, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher. A notre avis, cela fût-il démontré, notre critique subsisterait. Le costume militaire de notre temps est très peu sculptural, et le ciseau, pour en tirer parti, doit se résoudre à l’interpréter avec une certaine liberté. S’il ne s’y décide pas, il arrive nécessairement à la raideur. Ce n’est pas assez que la copie soit fidèle ; si elle manque de grace, de souplesse, le but de la statuaire n’est pas atteint. Ce n’est pas tout ; la manière dont le manteau est jeté sur les épaules ne serait acceptable que dans le cas où la figure ne devrait être aperçue que d’un seul côté. Mais, puisqu’elle est placée sur un piédestal, il est naturel de penser que le spectateur éprouvera le désir d’en faire le tour. Or, la statue du duc d’Orléans ne se prête pas à l’accomplissement de ce désir. Elle n’est pas conçue comme elle devrait l’être pour répondre à toutes les exigences de la raison et du goût. Elle n’offre pas cet ensemble harmonieux de lignes dont la statuaire ne saurait se passer. Quant au piédestal, composé par M. Garnaud, loin d’ajouter à l’effet de la statue, il lui fait certainement un tort considérable, en distrayant l’attention par le nombre des ornemens dont il est couvert. La première qualité du piédestal devait être la simplicité ; or, la simplicité est ici complètement absente. Et non-seulement le piédestal fait tort à la statue, mais il ne nuit pas moins à l’effet des bas-reliefs.

La statue de Jouffroy est loin de satisfaire ceux qui ont connu le modèle que M. Pradier a voulu reproduire. Je ne dis pas que la tête manque absolument de ressemblance, mais elle n’a certainement pas la finesse, la mélancolie, la gravité contemplative, qui caractérisaient la tête de Jouffroy. Il est probable que M. Pradier n’a pu consulter que des portraits d’une vérité incomplète ; s’il eût eu à sa disposition des documens plus précis, plus fidèles, il aurait certainement donné aux yeux, à la bouche, une expression toute différente. Je n’approuve pas la manière dont le manteau est jeté sur les épaules : la figure ainsi drapée n’a pas la noblesse, l’élévation qu’elle devrait avoir. Pour un artiste aussi habile que M. Pradier, il eût été facile de draper la figure avec