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france un remède. Le succès dépend au jour le jour de la perspicacité, du tact, de l’énergie de celui qui tient en main les affaires. L’important était de protester contre cette désolante conviction propagée par Malthus parmi les hommes d’état de cette époque, qu’il est à peu près inutile de s’occuper de la multitude par deux raisons : la première, qu’il est impossible d’améliorer les conditions du travail ; la seconde, que, si l’on y parvenait momentanément, le bien-être général n’aurait d’autre résultat que de ramener la misère, en provoquant aussitôt une nouvelle surabondance de population.

On comprendra, d’après l’exposé qui vient d’être fait, qu’une simple thèse économique ait mis aux prises des intérêts passionnés. Ce problème de la population dans ses rapports avec la subsistance résume en effet l’art du gouvernement : tous les actes de l’administration viennent y aboutir. Malgré les critiques qu’on a pu faire du système de Malthus, malgré les justes protestations qu’il a provoquées, son livre restera comme un des traités élémentaires de la science économique. Il faut donc savoir gré à l’intelligent éditeur de l’avoir compris dans la collection qu’il poursuit avec succès[1]. La lumineuse introduction de M. Rossi, la notice sur la vie de l’auteur, par M. Ch. Comte, portrait tracé pour l’Institut, et qui se ressent un peu trop de l’impassibilité académique ; les notes sobres et pourtant concluantes de M. Joseph Garnier, une révision de la traduction primitive, une ample table des matières, indispensable pour un écrivain assez confus, assurent la supériorité de cette édition sur toutes celles qui l’ont précédée dans les divers pays où la langue française est en usage.

Malthus mourut à l’âge de soixante-dix ans, paisible comme il avait vécu, au milieu d’une famille qui le vénérait. Tous les éloges prononcés autour de sa tombe le représentent comme un philosophe candide, désintéressé autant que loyal, d’une aménité séduisante dans la discussion, d’un calme imperturbable au milieu des tempêtes qu’il avait soulevées. Cet homme, si cruel dans ses conclusions dogmatiques, était, dit M. Ch. Comte, « si indulgent pour les autres, que des personnes qui ont vécu près de lui pendant cinquante années assurent qu’elles ne l’ont jamais vu troublé, jamais en colère, jamais exalté, jamais abattu. » Ce contraste entre l’homme et ses écrits n’est pas sans précédens. Le type de la morale relâchée, Escobar, était dans ses mœurs d’une rigidité exemplaire. Il est probable que la passion politique ou l’esprit de système ont communiqué au philosophe anglais cette dureté d’accent qu’on lui a reprochée avec une dureté non moins grande. Lorsque, ému par le soulèvement public, Malthus balbutiait ces paroles : « Je suis sûr de n’avoir

  1. Les Principes généraux de l’Économie politique et divers Opuscules non encore traduits en français paraîtront bientôt pour compléter les œuvres de Malthus.