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seront, l’objet de dispositions prochaines, prises en vue de faciliter les transactions et d’en garantir la loyauté. Le dernier article assure protection à ceux qui respecteront la loi, et menace d’un châtiment inévitable ceux qui troubleront la paix publique et causeront du préjudice à autrui.

Le pouvoir du rajah anglais est absolu comme celui du sultan dont il émane. À cette condition seule, son influence pouvait devenir salutaire et efficace. Les Dyaks, distinguant ce despotisme intelligent et paternel de l’affreuse tyrannie des Malais, ont voué à leur nouveau gouverneur un vif attachement. M. Brooke ne possède point ces qualités brillantes qui saisissent l’imagination. Doué d’un esprit ordinaire, la cause de son ascendant vient de son caractère à la fois prudent et hardi, ferme et persévérant. Si dans tous les états de société les hommes s’élèvent et se classent bien plus par leur caractère que par leur esprit, la force de volonté est surtout nécessaire pour gagner l’influence morale sur des tribus sauvages et pour subjuguer leurs instincts. M. Brooke nous apparaît, du reste, associant à merveille, par une alliance assez ordinaire chez les Anglais, le génie du négoce à des intentions droites et à des vues d’utilité générale. Aussi a-t-il parfaitement conduit ses affaires et soigné sa fortune, tout en accomplissant une œuvre qui n’est pas sans grandeur, et qui ne sera pas sans avantages pour son pays d’origine comme pour son pays d’adoption.

La complète sécurité de la province de Sarawak n’est point toutefois subordonnée seulement à la conduite d’un gouvernement sage ; elle exige en outre l’énergique répression de la piraterie. La piraterie dans l’archipel oriental diffère beaucoup de celle qui s’est long-temps pratiquée sur les mers européennes. Elle tient son caractère particulier de l’état sauvage des peuples qui l’exercent et de la disposition même des lieux où ils se réfugient. L’île de Bornéo se prête à merveille à l’exercice de cette barbare industrie. D’un abord difficile pour les navires de guerre, à cause des écueils qui l’environnent, elle offre aux prahus[1] des indigènes une infinité de petites baies abritées par des îlots et défendues par des récifs. On aperçoit de loin les flottes des pirates reposant tranquillement sur leurs ancres. Si on dirige vers eux les embarcations d’un vaisseau, ils échappent bientôt, grace à l’agilité de leurs rameurs et à leur parfaite connaissance des lieux.

Les tribus pirates se divisent en deux classes : celles qui possèdent des prahus de haut bord et entreprennent de longs voyages, telles que les Illanuns, les Balagnini, et celles qui, sur des barques plus légères, se bornent, comme les Sakarrans et les Sarebus, à des excursions sur des rivages voisins, et visent à surprendre leurs ennemis plutôt qu’à les

  1. Bateaux du pays.