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cent, est dépassée par les départemens industriels moins 3 ; les départemens agricoles, à l’exception de 8, sont restés au-dessous de la moyenne. En Angleterre, l’accroissement a eu lieu, depuis le commencement du siècle jusqu’en 1831, dans la proportion de 26 pour cent dans les comtés voués à la culture, et de près de 50 pour cent dans les districts manufacturiers. La Belgique est aux expédiens pour nourrir les ouvriers que la surexcitation industrielle a enfantés. L’Allemagne déverse chaque année 20,000 émigrans en Amérique et en Russie, sans compter les mercenaires qui s’insinuent dans tous les ateliers des grandes villes européennes.

L’assainissement des localités est encore une garantie contre la surabondance d’une population chétive. De toutes les mesures imaginées dans l’intérêt du pauvre, la plus propre à le relever de sa dégradation est celle dont le vénérable lord Ashley a pris l’initiative. Il est démontré, par l’expérience faite à Londres, qu’avec ce qu’il en coûte à l’ouvrier pour louer à la nuit un ignoble grabat dans une chambre infecte, il pourrait obtenir un logement sain et décent dans de vastes bâtimens appropriés aux modestes besoins des classes nécessiteuses. On parviendrait, en distribuant bien de pareilles habitations, à diminuer l’entassement des ouvriers autour des grandes manufactures, qui deviennent trop souvent des foyers de prostitution et de misère.

Un des premiers devoirs de l’administration serait d’observer avec une attention vigilante le niveau des salaires. L’enchérissement nominal de la main-d’œuvre peut n’être qu’un leurre pour les ouvriers. Il serait bon de constater de temps en temps le pouvoir réel des salaires, c’est-à-dire la somme des objets de nécessité première que peut fournir le gain quotidien du travailleur. Sans intervenir directement dans les opérations particulières de l’industrie, il y a pour un gouvernement vigoureux des moyens légitimes d’assurer au travail une rémunération équitable, soit qu’on provoque la demande des bras par une impulsion communiquée à certains travaux, soit qu’on augmente la puissance du salaire, en faisant baisser le prix des subsistances par les perfectionnemens de l’agriculture[1]. Je n’étendrai pas cet aperçu. En ce qui concerne le régime des classes ouvrières, la théorie ne peut donner que de vagues conseils. Chaque difficulté exige une solution, chaque souf-

  1. Avant l’impulsion donnée à l’agriculture par les économistes français, le prix du blé était beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui, relativement à la valeur réelle de l’argent. Je trouve que le prix moyen du setier de Paris fut, de 1674 à 1683 inclusivement, de 26 livres 6 sols 3 deniers, somme qui représente à peu près 72 francs de nos jours. Or, pour 72 francs, on aurait aujourd’hui près de quatre hectolitres de blé, environ deux setiers et demi : la diminution réelle est de trois cinquièmes. Le simple énoncé de ce résultat est le plus bel éloge qu’on puisse faire des économistes de l’école primitive.