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Comment se trouve-t-elle tout d’un coup, après trois quarts de siècle, occupant une meilleure position que l’île de Balambangan, d’où la chassa, en 1775, un vigoureux coup de main d’une des plus puissantes tribus de Soulou ? Jamais l’Angleterre n’avait cessé de rôder autour de Borneo. La compagnie des Indes orientales y avait de bonne heure suivi la Hollande, jalouse de lui ravir une partie de ses avantages commerciaux. Elle s’était fortifiée sur plusieurs points ; elle ne se retira devant l’heureuse concurrence des Hollandais, alors prépondérans sur ces mers, qu’en emportant avec elle un secret espoir de retour. Depuis cette époque, les Anglais ont constamment cherché à inquiéter leurs anciens rivaux ; ils ont pris et incendié plus d’une fois leurs comptoirs durant les guerres de la révolution et de l’empire. Les voilà qui reparaissent aujourd’hui sur ces rivages avec la pensée de n’en plus sortir. La route n’a été frayée devant eux ni par les armes ni par la politique de leur gouvernement. C’est à l’action persévérante d’un simple particulier que la Grande-Bretagne est redevable de son retour inattendu dans l’île. Elle y est venue à la suite d’un voyageur hardi, M. James Brooke, employé d’abord au service de la compagnie des Indes, aujourd’hui agent de sa majesté britannique, et gouverneur à perpétuité, pour ne pas dire rajah indépendant, d’une province entière à lui cédée par le sultan de Borneo-Proper.

M. Brooke avait fait un voyage d’agrément de Calcutta en Chine en 1830. Il vit alors pour la première fois les îles magnifiques de l’archipel oriental, qui sollicitaient l’attention de l’Europe. Il conçut la pensée de s’y créer un vaste établissement, tout en y frayant la voie à la civilisation européenne et à l’influence de son pays. Il roula long-temps ce projet dans sa pensée. En se préparant à l’accomplir, il dut éprouver des contrariétés, des mécomptes, de longs retards. Ce ne fut qu’à la fin de l’année 1838 qu’il mit à la voile à bord du navire le Royalist, avec un équipage exercé et une entière confiance dans le succès. M. Brooke n’était investi d’aucun caractère officiel, d’aucune mission du gouvernement ; il avait réuni lui-même les moyens de l’expédition. Le 1er juin 1839, il atteignait Singapore, et le 1er août suivant il jetait l’ancre sur la côte tant désirée de Borneo, au milieu d’un orage épouvantable, comme il en règne fréquemment dans ces contrées.

Le Royalist abordait au nord-ouest de l’île, en face même de Singapore, au fond du golfe formé par la pointe Dattu et la pointe Sirak, et dans lequel se jettent plusieurs rivières profondes, le Sarawak, le Maratebas, le Sarebus, etc. Il remonta le Sarawak jusqu’à la ville de ce nom, où résidait alors le rajah Muda-Hassim, oncle du sultan de Borneo et l’un des plus puissans personnages de l’empire. Sarawak est une bourgade bâtie en terre, dont le rajah, ses quatorze frères et leur suite formaient plus de la moitié de la population, évaluée en tout à quinze cents