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dignes d’un grand peuple ? Il n’est pas mal de connaître les procédés de l’Angleterre et d’avoir à lui opposer ses propres exemples. Notre gouvernement doit puiser une force réelle dans les conquêtes ininterrompues de nos voisins, lorsqu’il a besoin de défendre des entreprises plus modestes et infiniment plus rares.

La curiosité seule suffirait d’ailleurs pour qu’on suivît avec intérêt les Anglais à Borneo. On aborde avec eux en un pays à peu près inexploré, chez des peuples dont l’état et les mœurs nous sont inconnus, au milieu de races très diverses, d’un caractère tranché, et qui, pour la plupart du moins, semblent avoir été fort mal observées par les navigateurs. Bien que l’étonnante fécondité de l’île et la variété de ses productions fussent un appât pour le commerce, les écueils semés sur ses côtes, la piraterie exercée en grand dans son voisinage, l’état intérieur du pays, la faiblesse croissante des gouvernemens indigènes, avaient presque fini par rebuter les Européens. Les comptoirs appartenant à la Hollande languissent sans développemens et ne forment point une large voie de communication avec les peuplades de l’intérieur. La partie de Borneo restée indépendante s’est isolée de plus en plus, depuis un demi-siècle, du mouvement commercial. L’anarchie et le défaut de sécurité ont sinon anéanti, du moins considérablement diminué les exportations des produits de l’île. Les jonques chinoises, qui jadis visitaient chaque année en très grand nombre le port même de la ville de Borneo, se sont vues forcées de renoncer à des expéditions trop aventureuses.

L’île de Borneo, appelée par les naturels Pulo-Kalamantan, est la seconde île du monde en étendue. Elle a été visitée pour la première fois par les Portugais en 1520. Sa forme arrondie embrasse onze degrés de latitude et onze de longitude. La ligne équinoxiale passe presque au milieu. Le climat, naturellement très chaud, est rafraîchi par des pluies fréquentes ; durant la saison de la plus grande sécheresse même, c’est-à-dire du mois d’avril au mois de septembre, il ne se passe guère de jour sur les côtes sans une ondée violente. Une zone fiévreuse, mortelle aux Européens, n’entoure pas Borneo comme Madagascar. Toute la partie du nord et du nord-ouest est, au contraire, très salubre. Les pluies, renouvelant sans cesse l’eau des marécages qui avoisinent le lit de certaines rivières et particulièrement la ville principale, où réside le sultan, empêchent les exhalaisons malsaines, et ne laissent subsister qu’une odeur de vase pénétrante et désagréable. Le sol est d’une fertilité prodigieuse ; fécondé par des alternatives de chaleur et de pluie, il se prête aux cultures les plus diverses. Dans les forêts, la végétation offre des aspects gigantesques, comme dans la belle et capricieuse île de Célèbes. Le benjoin, le camphre, la cire, le poivre, les cannes des Indes, forment la plus grande partie des exportations dirigées sur Singapore.