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était généralement admis. Alors seulement, les pays à blé, pouvant compter sur des demandes considérables et régulières, élargiraient assez leurs cultures pour les proportionner à tous les besoins. L’expérience que l’Angleterre se prépare à risquer répondra d’une manière décisive à ce genre d’objections.

Il faut sans doute que le pauvre puisse vivre à bas prix, mais il faut que ce soit par l’effet de l’abondance du marché, et non pas par un affaiblissement du régime, par l’usage d’un vil aliment. L’introduction de la pomme de terre en Irlande n’a pas eu seulement pour effet d’encourager la procréation. Le salaire de l’ouvrier, au lieu de s’y régler, comme en Angleterre, sur le prix du froment, a suivi celui de la pomme de terre, c’est-à-dire qu’il s’est abaissé au niveau de la denrée la plus vile. Les pays accoutumés à un régime solide ont, dans les mauvaises années, la ressource d’une alimentation inférieure. Il n’en est plus de même en Irlande : il n’y reste aucun moyen de se garantir de la famine, quand la récolte de la pomme de terre vient à y manquer.

Il est à remarquer qu’en ce qui concerne la population, l’intérêt des capitalistes est directement opposé à celui des pauvres. L’entassement des ouvriers affamés autour des manufactures accélère la fortune des entrepreneurs. Que les hommes d’état méditent ces graves paroles, écrites par M. Rossi dans son introduction : « Les habiles savent que plus il y a de travailleurs, plus les salaires sont bas et les profits élevés… : Vous voudriez que le père de famille, au lieu de cinq ou six enfans, ne nous en présentât que deux ou trois ? Mais il nous faudrait alors hausser le salaire des jeunes travailleurs, et plus tard celui des adules ; et, si nous ne voulons pas voir diminuer le nombre de nos acheteurs, où trouverons-nous cet accroissement de salaires, si ce n’est dans une baisse relative de nos profits ? Nous pouvons aujourd’hui gagner un million en dix ans ; il nous faudrait, dans votre système, la vie d’un homme pour atteindre au même résultat. Laissez, laissez les travailleurs se multiplier ; c’est le seul moyen de rendre les capitalistes maîtres du marché. » L’excitant le plus énergique à la population est l’emploi des enfans dans les manufactures. La certitude d’exploiter ces petits malheureux à l’âge où ils auraient besoin au contraire d’une tendresse attentive détermine une affligeante fécondité. Malthus a remarqué que dans les villes manufacturières de l’Écosse les ouvriers se mariaient fort jeunes, et que chaque ménage comptait en moyenne six enfans. Cette coupable spéculation a été la principale cause de l’encombrement dont tous les pays se plaignent. C’est la pullulation de la plus basse classe industrielle qui grossit constamment les chiffres dans les tableaux de recensement. On distingue en France 33 départemens voués particulièrement à l’industrie, et 53 qui s’enrichissent par la culture des céréales et de la vigne : la moyenne d’accroissement, qui, de 1801 à 1836, a été d’environ 22 pour