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La prise de Valence signala un des premiers exploits du baron dans la carrière des guerres civiles. La résistance fut vive de la part des catholiques, dirigés et commandés par La Mothe-Gondrin, lieutenant au gouvernement du Dauphiné, aussi cruel envers les partisans de la nouvelle religion que des Adrets commençait à l’être envers les catholiques. Les huit mille protestans conduits par le baron, après s’être emparés de Valence, y mirent le feu, tuant, pillant, massacrant au milieu des fumées et des embrasemens de l’incendie. La Mothe-Gondrin fut poignardé en pleine poitrine par Jean de Vesc, seigneur de Montjoux, beau-frère de Pierre de Forêts, que Gondrin avait autrefois outrageusement blessé.

Confians dans la bonté de leur cause et surtout dans leurs forces, les catholiques assiégés dans Valence par le baron poussèrent le dédain et le mépris pour leurs adversaires jusqu’à donner des bals la nuit même de l’assaut général, conduite que devait imiter la ville de Bruxelles quelques siècles plus tard et la veille de la bataille de Waterloo. Ces sortes de forfanteries ne sont pas toujours aussi gaies en finissant qu’à leur début. On ne sait pas qui, en définitive, paiera les violons.

Des Adrets prend donc la ville de Valence : on éteint les danses dans le sang ; mais, à l’extrémité d’un quartier baigné par le Rhône, où la nouvelle de la défaite éprouvée par les catholiques n’est pas encore parvenue, un bal, composé de jeunes gentilshommes et de charmantes filles de seigneurs, se continue à la lueur des torches. Des Adrets en est prévenu ; il se rend sous le balcon du palais où se donne ce bal téméraire. — Que rien ne soit changé, dit-il à son bras droit, au capitaine La Coche, qui l’accompagne ; il faut que tout le monde s’amuse, entends-tu ? Rends-toi à ce bal, monte dans les salons, et laisse danser ces braves gens.

— Mais, mon général ?…

— Non-seulement tu les laisseras danser, mais tu les y forceras.

— C’est autre chose… Si c’est votre fantaisie…

— Vois-tu ce vaste balcon qui donne sur le Rhône ?…

— Oui, général… C’est le balcon des salons où l’on danse.

— Tu vas faire abattre la balustrade de ce balcon, puis tu ouvriras toutes les croisées…

— Et puis ? demanda La Coche en se mouchant…

— Et puis… je croyais te l’avoir dit, tu forceras les catholiques à danser jusqu’à ce qu’ils…

— Jusqu’à ce qu’ils tombent de fatigue…

— Imbécile ! jusqu’à ce qu’ils tombent dans le Rhône. Comprends-tu ?

La Coche, qui n’avait que trop compris, se moucha plus fort.

— Est-ce tout ?

— Ajoute à cela tous les agrémens que te fournira ton imagination.