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fumier, et d’autant plus vite que les chiens, toujours en grand nombre dans les châteaux, venaient y prendre leurs ébats.

La chambre à coucher, car d’ordinaire le château n’en contenait qu’une seule, ne brillait pas par un mobilier plus relevé ; on n’y voyait guère qu’un lit de douze à quatorze pieds de large, dans lequel toute la famille du seigneur et le seigneur lui-même couchaient. Le long des murs de cette chambre étaient rangés des bahuts où l’on mettait les habits et le peu de linge qu’on possédait alors, l’usage des armoires n’ayant été connu que beaucoup plus tard.

La salle des aïeux offrait le portrait des principaux membres de la famille du baron des Adrets, et au-dessus de la porte on distinguait les armes de la maison. Elles étaient de gueule à la fasce d’argent, chargées de trois fleurs de lys d’azur rangées. Parmi ces portraits on voyait : — Amblard de Beaumont, chancelier de la principauté du Dauphiné sous le dauphin Humbert II ; — ensuite le portrait d’un autre Amblard de Beaumont, qui rendit hommage au dauphin de la terre de Montfort en 1428. Sous son portrait on lisait : Nobilis et potens vir. Ce membre de l’illustre famille de Beaumont négocia la donation du Dauphin à la France, fait immense dans notre histoire, et qu’on n’a pas apprécié à sa juste valeur. Venait ensuite le portrait du fils de ce second Amblard de Beaumont, et qui avait pour nom Aimar ; il épousa Aimonette Alleman, dont il eut deux fils, Ainard et Jacques. — Après les portraits d’Ainard et de Jacques, qui fut nominalement seigneur de la Tour-des-Adrets, venait celui de George de Beaumont, son fils. Ce George de Beaumont fut le père de François de Beaumont, le trop fameux baron des Adrets.

Le capitaine La Coche et le baron des Adrets, ne sachant comment passer leur temps au château de la Frette, s’avançaient souvent jusqu’en Savoie pour chasser l’ours dans les montagnes, et ils demeuraient des mois entiers au milieu de la neige. Dans une de ces luttes violentes, toujours pleines de périls, avec ces hôtes sauvages des solitudes, il leur arriva un jour un accident dont leur imprudence ne pouvait guère les mettre à l’abri, et qui décela ouvertement le caractère original et cruel du baron. Depuis une semaine, ils guettaient de caverne en caverne, d’arbre en arbre, un ours d’une grosseur prodigieuse, à en juger par les trous qu’il creusait en marchant dans la neige. Ils se promettaient, une chasse digne de leur intrépidité. Enfin, après bien des heures d’attente, ils voient venir vers eux de l’horizon la lourde masse, roulant, se dandinant, écrasant sous ses pattes des milliers d’aiguilles de neige. Les deux chasseurs avaient chacun leur redoutable arbalète à la main, des flèches à leur côté, et un large couteau à demi tiré de sa gaîne, attaché à leur ceinture. Ils occupaient un plateau étroit qui n’avait qu’un seul point de communication avec la montagne d’où descendait notre ours,