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les Grecs, qui avaient rempli leurs bibliothèques de ce nombre infini de rhétoriques retrouvées à Herculanum et à Pompeï sous les cendres du Vésuve, n’ont écrit de plus longs et de plus subtils traités dans les jours de leur décadence. Jamais ces rhéteurs gaulois, que M. Fauriel nous a représentés enseignant les règles inutiles de l’art de parler à Rome privée de son Forum et de ses harangues, n’ont dû connaître plus de raffinemens et plus de lenteurs. Rien n’égale le luxe des définitions de Molinier, hormis celui des disputes scolastiques de la même époque. L’argutie du moyen-âge s’y déploie avec toutes ses pompes dans un sujet qu’on ne croyait pas envahi par elle ; tout ce que la renaissance a reproduit ensuite de règles difficiles et sévères est peu de chose auprès des distinctions infinies que le rhéteur de Toulouse a marquées dans les œuvres de la poésie méridionale.

Ce manuscrit, que l’Académie des jeux floraux a publié avec les traductions déjà anciennes de M. Descouloubres et de M. d’Aguilar, n’est point le seul qu’elle possède. Elle en conserve d’autres où la poétique des troubadours se trouve confirmée par de plus nombreux exemples tirés de leurs œuvres. Depuis que la révolution a dispersé les beaux manuscrits admirés par Scaliger au collège de Foix, depuis que la vente de la bibliothèque de M. de Mac-Carthy a fait passer en Angleterre un des plus riches recueils de nos chansons chevaleresques, ces archives de l’Académie des jeux floraux sont tout ce qui reste à Toulouse des traditions de, ses vieux poètes. Malheureusement personne jusqu’à ce jour n’a voulu se consacrer à la comparaison de ces documens avec ceux que gardent les autres collections de l’Europe. La réputation et l’esprit de l’éditeur ne sauraient seuls féconder ces vieux ouvrages, dont l’étude demande beaucoup de loisir et une longue expérience personnelle. Il faut, aux bords de la Garonne, redouter une autre extrémité, et, en cherchant l’érudition, prendre garde de tomber aux mains de ces gens qu’on ne croirait plus rencontrer dans notre siècle, qui parlent sans cesse des grands voyages qu’ils ont faits en Portugal, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Italie et jusqu’en Orient, pour découvrir les traces des troubadours, tandis qu’on sait pertinemment qu’ils n’ont pas quitté leur maison depuis que la Providence les y a mis à couvert. Il n’est pourtant pas impossible, même aujourd’hui, de trouver à Toulouse de véritables savans, très capables d’achever de sérieuses études avec habileté et avec bonne foi. Tout le monde y nommera celui qui, il y a quinze ans, écrivait familièrement, dans l’idiome des troubadours, une petite chronique plaisante de Montpellier, et qui fut assez heureux pour que cet ouvrage, porté sans lettre d’envoi à M. Raynouard, passât, comme une œuvre originale du XIVe siècle, sous les yeux du fameux philologue empressé de répondre qu’il y avait déjà pris plusieurs mots excellens, propres à figurer dans son glossaire. C’est le même érudit qui proposait en vain à l’Académie des jeux floraux d’ajouter à ses amaranthes et à ses soucis, faits pour encourager de petits vers d’un français souvent équivoque, une fleur nouvelle, celle que les Allemands appellent ne m’oubliez, pas, et qui serait destinée à récompenser le souvenir de la langue des troubadours et l’imitation de leurs chants. Il faut espérer qu’avec de semblables secours, l’académie ne laissera point achever, sans elle, cette histoire littéraire du midi, qui pourrait dignement occuper ses continuels loisirs.

M. Fauriel, qui, accompagné de M. Augustin Thierry, avait visité Toulouse