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mais, dans la carrière qui lui reste à parcourir, il se contente de revenir, par des analyses et par des dissertations toujours intéressantes, sur les sujets de ses précédentes recherches. Il passe en revue quelques-uns des principaux romans provençaux qui ont échappé à la destruction ou à l’oubli : parmi les compositions du cycle de Charlemagne, le poème de Ferabras, celui de Gérard de Roussillon, conservés encore dans l’idiome méridional, celui de Guillaume au court nez, connu seulement par sa traduction française ; parmi les ouvrages du cycle de la Table-Ronde, celui de Blondin de Cornouailles, celui de Jauffre et Brunissende, tous deux en provençal, celui de Perceval, qui n’existe plus entier que dans la version allemande de Wolfram d’Eschenbach. Il donne une des confirmations les plus puissantes de son système, en faisant connaître la chronique rimée de la guerre des Albigeois, qu’il publia lui-même en 1837, avec une préface judicieuse réimprimée à la suite du cours de poésie provençale. Cette composition, monument presque unique dans son genre, marquant la transition de l’épopée à l’histoire, cite, dans les premières années du XIIIe siècle, tous les romans provençaux du XIIe, dont elle est elle-même la preuve en quelque sorte vivante, puisqu’elle se modèle sur leurs formes avec une aisance et un éclat qui dénotent des habitudes déjà anciennes. M. Fauriel, après avoir encore examiné, parmi quelques autres romans, celui d’Aucassin et Nicolette, où l’alternative de la prose et des vers lui semble directement empruntée aux Arabes, revient sur les premières parties de son sujet, pour combler les lacunes qu’il y a laissées. Il traite accessoirement de l’organisation matérielle de la poésie provençale, c’est-à-dire des attributions des troubadours et des jongleurs ; il insiste plus longuement sur la versification des troubadours, dont il trouve deux origines différentes dans les chants des Arabes et dans les hymnes de l’église chrétienne ; il reprend cette question si débattue, déjà effleurée par lui, des rapports des Provençaux avec les Arabes. Il penche à faire naître dans la liturgie chrétienne les formes métriques qu’ont employées non-seulement les Provençaux, mais encore les Arabes initiés à ces rhythmes par l’intermédiaire du culte mosarabe ; en revanche, il incline à attribuer aux Arabes, avec les influences du commerce, tout-à-fait sensibles au moyen-âge, les premiers exemples de la chevalerie religieuse, de l’amour enthousiaste, de la passion des généreuses aventures, remarquables chez eux dès les temps qui avaient précédé Mahomet. Enfin il revient aux relations des troubadours et des trouvères, pour montrer que les premiers, expirant sur le seuil du XIIIe siècle, ont dû nécessairement former les seconds, commençant au même point et reproduisant les mêmes sentimens dans les mêmes mesures, et il termine par cette conjecture hardie, que ce sont les Provençaux eux-mêmes qui ont écrit, dans la langue du nord, les premières chansons d’amour, ce qui est probable, et les premiers romans, ce que la preuve même donnée par M. Fauriel fait paraître fort téméraire. Ainsi s’achève, par un excès de confiance, un ouvrage tout entier conduit, il est vrai, par l’esprit d’une scrupuleuse critique, mais trop tendu vers un seul but pour que l’auteur n’ait pas dû être entraîné à le dépasser. La préoccupation continuelle des chants populaires et de la poésie épique fait l’intérêt puissant de ce livre, et devait y mêler aussi quelques défauts. Si elle y empreint une forte unité autour de laquelle tout s’arrange et se subordonne, elle relègue dans une place peut-être trop secondaire la poésie lyrique des troubadours, elle exclut trop facilement toute recherche sur leur poésie dramatique, et enfin,