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relations avec les Arabes. En fondant le royaume d’Aquitaine, il lui imposa la mission de défendre la frontière de son empire contre les invasions des musulmans d’Espagne. L’un des premiers chefs qu’il y employa, le duc Guillaume-le-Pieux, célèbre par ses exploits contre les Andaloux et par sa retraite dans la vallée de Gellone, fut l’objet de chants populaires qui, bientôt s’agrandissant, donnèrent naissance à l’un des poèmes les plus complexes et les plus volumineux de l’Occident. D’autres chants, que déjà les jongleurs colportaient, et qui, perdus sous leur forme première, se retrouvent quelquefois dans des poèmes latins, souvent dans des recueils de légendes, montrent, à la même époque, sous l’influence de la pensée de Charlemagne, les lointains souvenirs de la Grèce et de Rome se mêlant au sentiment de la lutte engagée avec les Sarrasins. Telle est, dans le récit des vingt-deux miracles de sainte Foi d’Agen, l’histoire évidemment épique d’un seigneur toulousain, Raymond du Bousquet, qui, tantôt errant sur les mers comme Ulysse, tantôt poursuivant la querelle du christianisme contre les Arabes d’Espagne, nous fait voir les réminiscences d’Homère associées aux premiers retentissemens des guerres saintes.

Arrivé à ce point où il a constaté tout à la fois l’influence de la Germanie, celle de l’antiquité, celle des Arabes, dans des chants épiques provençaux du IXe et du Xe siècle, M. Fauriel, avec une habileté singulière, paraît retirer tout à coup le système qu’il a si bien introduit ; il voit naître, au XIe siècle, le premier de ces troubadours dont les poésies amoureuses ont jeté tant d’éclat et ont effacé, aux yeux des modernes, l’épopée oubliée de la Provence. M. Fauriel semble se consacrer tout entier à l’étude de ces chansons fameuses qui s’offrent à lui dans l’ordre de leur apparition ; il examine la vie et les ouvrages du comte de Poitiers, Guillaume IX, ordinairement inscrit le premier sur la liste des troubadours. Il prouve, de la manière la plus irrécusable, que ce noble faiseur de vers n’avait reçu de la nature et n’a mis dans ses chansons aucune des qualités auxquelles on doit reconnaître le créateur d’une poésie, ou même d’un genre poétique ; bien plus, il le surprend fournissant des preuves matérielles d’une poésie populaire déjà ancienne sur laquelle, avant lui, s’est greffée la nouvelle poésie lyrique.

Qui donc a donné naissance à cette poésie nouvelle dont Guillaume de Poitiers ne saurait être le créateur ? C’est tout un nouveau système de sentimens, de mœurs, d’usages qu’on appelle la chevalerie, et qui se place ainsi entre la naissance des chants épiques et celle des chants amoureux des Provençaux. Qu’est-ce que la chevalerie ? Il faut en lire la définition dans l’ouvrage de M. Fauriel, pour savoir jusqu’à quel point la science peut être ingénieuse, et quelles agréables clartés un esprit méditatif sait faire jaillir de l’érudition. La chevalerie est, suivant lui, une fleur du midi. Les chants des troubadours en sont le parfum le plus exquis. Mais, sous ces chansons des châteaux, M. Fauriel veut retrouver la poésie épique du peuple. Aussi ne passe-t-il point en revue tous les troubadours, et ne fait-il même que toucher un moment, par leur côté, il est vrai, le plus essentiel et le plus difficile, quelques-uns de ceux qui se sont placés au premier rang. Il note, durant la première partie du XIIe siècle, après Guillaume de Poitiers, les chanteurs encore rares dont les noms ont été conservés, Cercamons, Marcabrus, Peiré de Valeira, tous les trois nés en Gascogne, au-delà de la Garonne, mais tous les trois composant leurs vers dans un autre dialecte que celui de leur pays,