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montre aussi en Angleterre la littérature anglo-normande de la cour se teignant légèrement de la poésie des châteaux de la France méridionale, et la littérature saxonne du peuple faisant au contraire de larges emprunts aux récits épiques des campagnes du même pays. Il poursuit cette comparaison sur les ouvrages de l’Allemagne, de l’Italie, de la France du nord, et même dans ceux-ci, on le système des trouvères est évidemment calqué en entier sur la poétique des troubadours, il assure que l’imitation de l’épopée des Provençaux a tenu plus de place que celle de leurs chansons. Cette assertion si nouvelle, présentée dès le principe, fait, à vrai dire ; le sujet de l’ouvrage entier. L’auteur a consacré à sa démonstration un savoir consommé, des lectures infinies, des méditations continuelles, et une méthode aussi remarquable par la scrupuleuse retenue des déductions que par la nouveauté hardie des résultats.

Pour montrer comment est née du peuple même, d’une manière naturelle et spontanée, cette épopée provençale qui, selon lui, a imprimé le premier mouvement à la poésie des modernes, ou plutôt qui la rattache mystérieusement aux restes de la culture antique, M. Fauriel a d’abord recherché quelle action les anciens ont exercée sur la civilisation du midi de la Gaule. Habile à concentrer ses forces et ses preuves, il a pris Marseille comme le point de départ et comme l’exemple principal des communications que les Grecs et les Romains ont eues avec les Gaulois fixés sur les bords de la Méditerranée. Les Phocéens apportent là leur commerce, qui doit y être suivi de leurs arts, qui s’y trouve remplacé par leur luxe, par leurs déclamations et par leurs écoles, lorsque César les punit en élevant Narbonne à leurs dépens. Les disciples que les Grecs forment en Gaule vont donner des leçons aux Romains ; ils se perpétuent dans leur propre pays jusqu’après les invasions des Barbares. Les Suèves, les Alains, les Vandales, avaient déjà traversé notre territoire pour aller s’abattre sur l’Espagne et sur l’Afrique, lorsque, le mouvement antique se continuant parmi nos ancêtres, des écoles publiques s’ouvraient chez les Arvernes ; les Visigoths et les Burgundes entendent encore les rhéteurs gallo-romains dans leurs chaires et les emploient aux négociations et au gouvernement. Les Francs, qui, à la fin du même siècle, établissent leur domination sur les Gaules, semblent ne plus y trouver de savans que dans l’église. La première race entretient les lumières du clergé en lui conférant les terres et les dignités ; mais, la seconde race s’étant élevée en donnant tout aux hommes d’armes, qui furent le premier fondement de sa fortune, le clergé, devenu guerrier pour se maintenir, commença à négliger lui-même le dépôt de la vieille civilisation dont il avait été le dernier gardien. Charlemagne parut alors, et fit, pour ranimer la culture romaine, de grandes tentatives qui le désignèrent à l’admiration des siècles, sans empêcher que la dissolution des élémens antiques et l’influence croissante de la Germanie ne reprissent après lui. M. Fauriel a, le premier, noté avec un soin particulier qu’au temps de Charlemagne l’enseignement des lettres anciennes était abandonné dans le midi, et que ce foyer, autrefois si éclatant, au lieu de se rallumer au souffle de l’empereur, avait été plutôt éteint par ses efforts pour le transporter dans le nord de sa monarchie et sur les frontières de l’Allemagne.

C’est dans cet instant même, c’est au milieu de l’abandon de toute la partie officielle et classique des littératures anciennes, que M. Fauriel voit les populations méridionales, livrées en quelque sorte à elles-mêmes, commencer à faire